Nouveau Départ
Nouveau Départ
La nouvelle mondialisation
0:00
-52:48

La nouvelle mondialisation

Bonne année à toutes et tous ! 

Chaque lundi nous vous envoyons à la fois un “Édito”, une interview avec un·e invité·e passionnant·e (cette semaine, Pascal Saint-Amans) et quelques informations pour mettre la semaine à venir en perspective et rappeler les contenus mis en ligne la semaine précédente. Le thème d’aujourd’hui est la mondialisation.

À l’agenda aujourd’hui 👇

  • Mon “Édito” sur les frontières et leur signification en 2021

  • Pascal Saint-Amans sur la fiscalité des multinationales

  • Nos conversations à venir cette semaine

  • Ce que vous avez peut-être manqué la semaine dernière

La mondialisation est l’un des grands récits qui a marqué notre existence durant les dernières décennies. Les frontières, nous disait-on, allaient devenir de plus en plus poreuses. Les biens, les services et les idées allaient circuler de plus en plus facilement dans une économie de plus en plus globale. Il y avait à cela différentes raisons : la croissance d’entreprises engagées dans une course aux économies d’échelle, mais aussi des décisions politiques comme la fin du système de Bretton Woods imposée par les Etats-Unis en 1971 ou la déréglementation de la place financière de Londres en 1986.

Aujourd’hui, il y a une autre mondialisation dont on parle moins, c’est celle qui nous concerne plus directement, nous les individus. Pendant longtemps, la mondialisation a été celle des entreprises, qui pouvaient se déjouer des frontières pour développer leur activité. Les personnes physiques, elles, restaient à peu près en place et ne sortaient guère de leur pays d’origine, à quelques exceptions près : pour quelques jours lorsqu’elles partaient en vacances ; ou encore pour quelques années lorsqu’elles participaient à un programme d’échange dans le cadre de leurs études ou qu’elles allaient accomplir une mission à l’étranger, bénéficiant alors du statut d’expatrié.

Les choses ont commencé à changer dans la première décennie de ce siècle. Les contrats d’expatriation ont commencé à se faire plus rares : on a commencé à expliquer à ceux qui partaient travailler à l’étranger qu’il leur faudrait désormais signer des “contrats locaux”, souvent moins avantageux – notamment s’agissant du salaire net et de la cotisation aux régimes de retraite. Il faut dire que l’intégration européenne, en particulier depuis 2004, a énormément facilité les choses en matière de portabilité des droits sociaux et de liberté de mouvement.

À cela s’est ajouté la pression à la baisse des coûts d’exploitation. Pour beaucoup d’entreprises multinationales, il est devenu plus intéressant d’encourager la relocalisation des individus signant des “contrats locaux” plutôt que de continuer à employer les travailleurs qualifiés dans leur pays d’origine. C’est ainsi, par exemple, que s’est développé l’écosystème des startups à Barcelone : beaucoup de développeurs de talent venus d’Italie, d’Europe de l’Est, de France, d’Allemagne ou des pays nordiques se sont installés là-bas, embauchés avec des contrats locaux, pour y jouir de la qualité de vie et de la proximité de la mer.

Aujourd’hui, la pandémie de COVID-19 contribue à intensifier et à accélérer la circulation des personnes à travers les frontières. Bien sûr, la période actuelle est plutôt au confinement et au surplace. Mais une autre tendance se superpose à cette immobilité apparente : celle de la généralisation du télétravail. De plus en plus, les entreprises s’habituent à recruter des collaborateurs qui résident dans une région, voire dans un pays différent. Des entreprises se spécialisent dans le recrutement de ces travailleurs à distance. D’autres, comme Deel (dont j’ai interviewé le fondateur, Alex Bouaziz, l’été dernier), mettent au point des produits pour réduire au minimum les frictions juridiques et fiscales causées par ce découplage entre les pays où résident les employés d’une entreprise donnée et celui où est établie cette entreprise elle-même.

C’est bien d’une nouvelle mondialisation dont il est question. Elle est paradoxale à bien des égards : après tout, ces jours-ci, on parle sans cesse de fermeture des frontières et de fragmentation du monde ! Mais cette fragmentation concerne avant tout les entreprises, qui ne connaîtront plus jamais l’économie mondialisée dont elles ont tant bénéficié jusqu’à une date récente.

Pendant ce temps, les individus s’habituent à l’idée du déracinement. Ils prennent conscience du fait que le télétravail est devenu une norme, pandémie oblige. Ils sont frustrés par le confinement actuel, qui les force à rester immobiles, mais se préparent à intensifier leurs mouvements dès que cela redeviendra possible. Lorsque la contrainte sera finalement levée, notamment grâce à la généralisation du vaccin contre le COVID-19, un nombre croissant d’individus se sentira libre de toute attache et partira à la conquête de nouveaux territoires – de nouveaux argonautes pour lesquels les frontières n’existent plus, en tout cas au sein de l’Union européenne, et le mouvement permanent devient un principe de vie.

Nous assisterons alors à l’émergence de cette nouvelle mondialisation : celle des individus. Les entreprises, contraintes par la fragmentation du monde et le durcissement en matière de réglementation sectorielle ou de fiscalité (cf. ma conversation avec Pascal Saint-Amans de l’OCDE ci-dessus 👆 et ci-dessous 👇), se replieront de plus en plus sur leur marché domestique. Pendant ce temps, les individus feront usage de ce résidu de mondialisation que constitue la liberté de mouvement et la plus grande tolérance des employeurs vis-à-vis du télétravail.

La grande question est la suivante : cette mondialisation des personnes deviendra-t-elle banale et les pouvoirs publics feront-ils en sorte de faciliter la vie de ces nouveaux argonautes ? Ou bien, sous prétexte que ce nomadisme est supposément réservé aux plus privilégiés, des obstacles seront-ils érigés pour forcer la fragmentation du monde, mettant complètement fin à l’idée d’une intégration de l’économie mondiale et d’interactions fréquentes entre ressortissants des différents pays ?

Écoutez 🎧 La vie périurbaine (conversation “À deux voix”)—réservé aux abonnés.

Écoutez 🎧 L’ambivalence du protectionnisme (conversation “À deux voix”)—réservé aux abonnés.

Écoutez 🎧 Pourquoi la France résiste tant au télétravail (conversation “À deux voix”)—réservé aux abonnés.

Écoutez 🎧 Télétravail, menace ou opportunité pour l'inclusion ? (conversation “À deux voix”)—réservé aux abonnés.

Écoutez 🎧 Un marché du travail sans frontières ? (conversation avec Alex Bouaziz, fondateur de la startup Deel)—accessible à tous.

Écoutez 🎧 Quitter Paris pour la province (conversation avec Aurore Thibaud, fondatrice de l’agence Laou)—accessible à tous.

Écoutez 🎧 Immigration : changer de perspective (conversation “À deux voix”)—réservé aux abonnés.

Écoutez 🎧 COVID-19 et urbanisation : continuerons-nous d'habiter dans les villes ? (conversation avec Robin Rivaton)—accessible à tous.

Écoutez 🎧 La grande fragmentation : comment s’y préparer (conversation “À deux voix”)—accessible à tous.

Voici des extraits de ma conversation avec Pascal, que vous pouvez écouter en intégralité en utilisant le player en haut de ce message – ou encore sur Apple Podcasts ou Spotify 🎧

Pour le commun des mortels, quels sont les grands sujets soulevés en matière de fiscalité internationale des entreprises?

Je crois, pour faire simple, que la fiscalité est au cœur de la souveraineté. Chaque pays a son propre système fiscal et s'intéresse pas ou peu à ce qui se passe à l'étranger. Néanmoins, les pays vont chercher à taxer les entreprises étrangères lorsqu'elles font des bénéfices sur leur territoire et ils vont chercher à taxer les entreprises nationales au niveau mondial. C'est la même chose pour les personnes physiques et ça aboutit à ce qu’on appelle des doubles impositions : le même bénéfice peut être taxé deux fois, par deux pays différents.

Pour éviter ces doubles impositions, qui ne sont quand même pas terribles d'un point de vue économique, les pays négocient entre eux depuis les années 1920. Pendant un siècle, ces conventions fiscales bilatérales visant à l'élimination des doubles impositions ont été des instruments juridiques extrêmement complexes, extrêmement ciblés, qui n'intéressaient personne, toutes basées sur un modèle international de convention. Les pays négociaient entre eux, mais on avait cette fiction de souverainetés indépendantes les unes des autres, qui s'articulaient via des conventions fiscales pour éliminer la double imposition des flux transfrontaliers.

Et puis la crise financière de 2008 a provoqué un réveil. On s’est rendu compte que l'on avait vécu sur une fiction depuis deux ou trois décennies : la fiction de ces États souverains qui protégeaient leur souveraineté en ne faisant pas de coopération fiscale. Parce qu'en réalité, la globalisation, la fin du contrôle des changes, la liberté de circulation des capitaux, la liberté d'investissement : tous ces éléments là ont conduit à la globalisation. Et dans cette globalisation, vous avez des acteurs qui sont des acteurs mondiaux, en particulier les multinationales, qui utilisent les conventions fiscales à leur avantage : en voulant prévenir le fait qu’un bénéfice soit taxé deux fois, on aboutit dans certains cas au fait qu’il ne soit pas taxé du tout !

Parmi les chantiers fiscaux sur lesquels tu as travaillé, il y a ce sujet plus particulier de la fiscalité des bénéfices réalisés par les entreprises numériques. Est ce que tu peux nous dire pourquoi l'économie numérique est à part ? Est-ce légitime de la mettre à part alors qu’il y a ce chantier, Base Erosion and Profit Shifting, qui est beaucoup plus large que l'économie numérique ?

En 2012, quand on a lancé le projet BEPS, une des 15 mesures, c'était la taxation de l'économie numérique. Pourquoi? Parce qu'à l'époque, on voyait de plus en plus d'entreprises numériques intervenir sur les territoires européens sans avoir de présence physique. Or pour pouvoir taxer une entreprise en vertu de règles qui datent de 1928, il faut que cette entreprise ait une présence physique et on voit bien que les entreprises numériques peuvent très facilement faire des opérations sans avoir besoin de présence physique sur les territoires où elles opèrent. On peut opérer à une échelle absolument gigantesque, sans avoir besoin d'être présent sur place.

Et donc, on avait cette problématique là et on avait une autre problématique qui était que ces entreprises américaines, notamment du numérique et pas seulement du numérique, mais du numérique en particulier, étaient extrêmement agressives. Le cas Apple a fait couler beaucoup d'encre : cette entreprise avait même mis au point un schéma juridique dans lequel elle n’avait de résidence fiscale nulle part !

Suivant ce schéma, Apple était une société qui n'était pas en Irlande, qui n'était pas aux États-Unis, qui n’était même pas aux Bermudes. Absolument nulle part, donc, avec une exonération totale de fiscalité sur les bénéfices. Et donc le cumul entre l’impossibilité de taxer et le fait qu’Apple faisait du business partout a inspiré cette envie de traiter le sujet.

On a fait un bond, on y a travaillé pendant deux ans. C'était d'ailleurs pendant l'administration Obama. Et la conclusion du rapport, c’étai qu'un en réalité, on ne pouvait pas vraiment parler d'économie numérique, mais qu'il fallait parler de numérisation de l'économie. Et ce n'est pas un jeu de mots. Ça consistait à dire : si on trouve une solution et si on veut que cette solution soit pérenne. Il faut que cette solution ne soit pas limitée à quelques secteurs, car un jour c’est toute l’économie qui sera numérique.

👉 Voyez aussi ma Note de lecture sur le rapport sur la fiscalité numérique que j’ai co-écrit en 2013 avec Pierre Collin, conseiller d’Étatréservé aux abonnés.

🦠 Pandémie : nous sommes en 1945 !

Mardi 12 janvier | Podcast “À deux voix” 🎧 sur l’état de la pandémie dans le monde. Nous pensions tous que l’annonce de la mise sur le marché de différents vaccins contre le COVID-19 annonçait la fin imminente de la pandémie. Mais c’est le contraire qui se passe : le nombre de cas (et de décès) continue d’augmenter dans tous les pays occidentaux ! Comment expliquer cela ? Que faire ?

🕰 En finir avec l’âgisme

Mercredi 13 janvier | Interview d’Andrew Scott. Il y a quelques semaines, Laetitia s’est entretenue avec Andrew Scott, co-auteur avec Lynda Gratton de l’ouvrage The New Long Life, dans le cadre du podcast Building Bridges. Nous enverrons mercredi à nos abonnés la transcription intégrale de cette conversation, traduite en français. Il y est question de l’allongement de notre durée de vie et de ses conséquences !

🇺🇸 L’état de la démocratie américaine

Jeudi 14 janvier | Podcast “À deux voix” 🎧 sur les États-Unis. Nous sommes maintenant à quelques jours de l’investiture de Joe Biden à la présidence des États-Unis. Mais la démocratie américaine, menacée depuis quatre ans par Donald Trump, connaît d’ultimes convulsions qui suscitent des interrogations de toutes parts : assistons-nous aux derniers jours de la République américaine ?

Je m'abonne à Nouveau Départ !

🇬🇧 La place du Royaume-Uni dans le monde

Le 24 décembre dernier, quand tout le monde préparait le réveillon de Noël, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont finalisé un deal in extremis. Mais ce deal minimaliste laisse beaucoup de questions en suspens, comme tout ce qui concerne l’économie des services.

👉 Écoutez 🎧 La place du Royaume-Uni dans le monde (conversation “À deux voix” entre Laetitia et moi)—réservé à nos abonnés.

💸 Tout sur la fiscalité des multinationales

C’est difficile pour le commun des mortels de comprendre les impôts que payent ou ne payent pas les entreprises multinationales dans les différents pays du monde. Pascal Saint-Amans orchestre les négociations à l’OCDE à ce sujet depuis des années. Il nous aide à y voir plus clair sur ce sujet.

👉 Lisez la Note de lecture de mon rapport de 2013 sur la fiscalité de l’économie numérique (co-écrit avec Pierre Collin, conseiller d’État)—réservé à nos abonnés.

✊🏿 L’activisme change le monde

L’année de l’assassinat de George Floyd est aussi celle de l’activisme au travail. Depuis quelques années, les activistes ont obtenu plus de transparence sur la (non-)représentation des minorités, sur les inégalités entre femmes et hommes, ou encore sur l’empreinte carbone d’une activité. En 2021, les activistes promettent de demander des comptes.

👉 Écoutez 🎧 L’activisme change le monde (conversation “À deux voix” entre Laetitia et moi)—réservé à nos abonnés.


Nos podcasts gratuits sont également accessibles sur Apple Podcasts et Spotify. Nouveau Départ a sa page LinkedIn et son compte Twitter : @_NouveauDepart_. Suivez-nous aussi individuellement sur LinkedIn (Laetitia & Nicolas) et sur Twitter (Nicolas & Laetitia).



(Générique : Franz Liszt, Angelus ! Prière Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)

1 commentaire