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Pandémie : la France du '0' ou '1'
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Bonjour à tous ! Chaque lundi nous vous envoyons un “Édito” au format écrit 📝👇 ET audio 🎧☝️, pour à la fois mettre la semaine à venir en perspective et rappeler les contenus mis en ligne la semaine précédente.

Voici le quatrième “Édito” de cette nouvelle saison, sur le “centralisme” à la française et les problèmes qu’il cause dans la lutte contre la pandémie.

La France n’a pas vaincu la pandémie, tant s’en faut. Elle se distingue même par l’ampleur de la nouvelle vague observée depuis la fin du mois d’août : elle a enregistré 93 000 nouveaux cas depuis le 1er septembre, contre 30 000 pour le Royaume-Uni et moins de 16 000 pour l’Allemagne.

Comble de l’humiliation, un nombre croissant de pays européens constatent que la lutte contre la pandémie marque le pas en France et inscrivent notre pays sur la liste des pays à problèmes. Il est désormais impossible, par exemple, de se rendre en Allemagne sans la preuve d’un test négatif. En cas de doute, les voyageurs venus de France sont astreints à un confinement pendant deux semaines.

Comment expliquer cette anomalie française ? Nombreux sont ceux qui pensent que c’est notre culture “gauloise” de l’indiscipline qui explique ce redémarrage de la pandémie. La société française serait incapable de se mettre en bon ordre et d’adopter les bonnes pratiques exigées par la situation actuelle.

Une autre hypothèse, toutefois, est que l’origine de ce problème français réside dans notre tradition administrative. Dans son Trésor historique de l’État en France, l’historien du droit Pierre Legendre parle du “centralisme”, cet “état d’esprit qui résiste à tous les efforts de casse” et constitue un trait d’union de l’Ancien Régime à nos jours en passant par la Révolution et l’Empire.

Il faut dire qu’au début de la pandémie, nous étions nombreux à voir dans ce centralisme un atout. L’administration française, fermement dirigée depuis Paris, semblait avoir la réactivité et une emprise suffisante sur le territoire pour pouvoir mettre en oeuvre sans tarder les mesures nécessaires pour contenir la propagation du virus. Les préfets, représentants de l’État dans les départements, étaient réputés avoir en main les outils pour adapter la réponse aux particularités d’un territoire à l’autre.

La limite de cette approche, malheureusement, c’est qu’elle ne fonctionne que dans un contexte bien précis. Elle fait certes merveille dans les périodes de crise aiguë, comme c’était le cas dans les premières semaines de la pandémie. Elle échoue sur toute la ligne, en revanche, lorsqu’il s’agit d’adopter une approche différenciée et itérative dans la phase actuelle, qui devrait être marquée par un retour plus progressif à la normale.

En d’autres termes, l’administration française excelle lorsqu’il s’agit d’appuyer sur un bouton qui, tel un transistor, nous permet de passer d’un état à un autre : ‘1’ lorsque les choses fonctionnent comme à la normale, ‘0’ lorsque tout s’arrête. En revanche, lorsqu’il s’agit de passer par des états intermédiaires entre ‘0’ et ‘1’, il n’y a plus personne sur le pont – et cela se voit.

Premier problème : il n’existe pas de communication directe entre l’État et les citoyens. Lorsque nous avions le sentiment d’être collectivement confrontés à une menace mortelle, les citoyens prêtaient attention au discours des dirigeants. Mais aujourd’hui, l’attention est retombée. Les prises de parole solennelles sont devenues répétitives et ronronnantes. Les individus ont refermé ce canal de communication de masse qui les lasse et se sont remis à vaquer à leurs occupations quotidiennes.

Second problème : l’information déchaînée ! Dans son livre The Revolt of the Public, l’ancien analyste de la CIA Martin Gurri explique à quel point la dissémination des informations sape la crédibilité des figures d’autorité. Hier, les normes régissant notre vie quotidienne étaient assénées d’en haut et s’imposaient à tous sans beaucoup de discussions. Aujourd’hui, elles résonnent et s’entrechoquent dans le même espace d’interactions en réseau, et nous pouvons donc tous en constater l’incohérence.

Par exemple, chacun est tenu (à juste titre) de porter un masque partout et en toutes circonstances – sauf, bien sûr, pour prendre son repas dans des restaurants bondés (qui, au passage, sont devenus les lieux les plus à risque selon une étude de la CDC américaine) 🤔 Ou encore, chacun est invité à se faire tester dès les premiers symptômes – mais les tests ne sont disponibles qu’après avoir patienté plusieurs heures dans la salle d’attente d’un laboratoire d’analyse pris d’assaut, où, à n’en pas douter, le virus se dissémine à toute vitesse puisque les personnes dans la file présentent toutes des symptômes ! Or qui peut faire confiance aux autorités quand les règles sont si incohérentes et leur mise en oeuvre si brouillonne ?

Nous payons aussi notre approche trop binaire – notre incapacité à placer le curseur dans d’autres positions que ‘0’ ou ‘1’. Le confinement des premières semaines a été si strict qu’après plusieurs mois de maintien à domicile (équivalent des privations qu’on s’inflige lorsqu’on suit un régime alimentaire), le relâchement n’est que plus fort. Depuis le début de l’été, nombreux sont ceux qui cherchent à compenser en multipliant les voyages, les réunions de travail, les soirées entre amis, les interactions sociales. Cela se voit, en particulier, sur l’index de la mobilité urbaine constamment mis à jour par la startup britannique CityMapper. Tandis que la mobilité est encore réduite (le 13 septembre au soir) dans des villes comme Tokyo (7%), New York (32%), Milan (52%) ou Londres (56%), les grandes villes françaises ont quasiment toutes renoué avec le niveau de mobilité d’avant la pandémie : 92% à Paris et 97% à Lyon !

À cela s’ajoute, enfin, le fait que notre sensibilité à la communication s’émousse avec le temps. Les premiers cas de morts du COVID-19 s’incarnaient dans des récits individuels racontés par des médias attirés par la nouveauté du phénomène. Aujourd’hui, nous n’entendons que des séquences de chiffres qui se suivent et se ressemblent. Nous ne prêtons plus attention à l’inquiétude des professionnels de santé, au chagrin des familles, aux vies détruites, aux messages d’alerte des patients pour qui la maladie est devenue chronique et qui continuent de souffrir des mois durant.

La solution serait d’apprendre à gérer les étapes intermédiaires entre le ‘0’ du confinement total et le ‘1’ du retour à la normale : édicter des règles simples et cohérentes ; rendre les tests disponibles plus rapidement ; prévenir les attroupements et les files d’attentes ; délimiter les zones à risque de façon plus dynamique ; retracer les interactions avec des personnes potentiellement contagieuses ; surtout, mettre en place un canal de communication directe personnalisée entre les autorités et les citoyens. Rien ne dit que cette approche différenciée et innovante est incompatible avec le “centralisme” dont parle Pierre Legendre.

Malheureusement, adopter cette approche suppose de sortir de la routine administrative qui consiste à faire passer tout le monde sous la même toise sans prêter attention aux situations individuelles. Pour nos dirigeants et ceux qui exécutent leurs ordres, il ne s’agit rien moins que d’un changement de paradigme et d’un grand saut dans l’inconnu. Nous en sommes capables. Pourquoi pas eux ?

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