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Diversité : les médias français à la traîne
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Chaque lundi nous vous envoyons à la fois un “Édito”, une interview avec un·e invité·e passionnant·e (francophone ou non) et quelques informations pour mettre la semaine à venir en perspective et rappeler les contenus mis en ligne la semaine précédente.

À l’agenda aujourd’hui 👇

  • Mon “Édito” sur l’absence de diversité dans les médias français 👆

  • Nina Goswami sur le projet 50/50 à la BBC

  • Nos conversations à venir cette semaine

  • Ce que vous avez peut-être manqué la semaine dernière

Alors que la pandémie amplifie les inégalités économiques entre les femmes et les hommes, les médias de masse français ont tendance à rajouter une couche de sexisme : les inégalités de représentation dans les médias (audiovisuels et écrits) se sont accentuées pendant cette crise. Sur les plateaux, les épidémiologues, virologues, politologues, sociologues et autres experts en géopolitique sont presque toujours des hommes. Les grands médias français, c’est un peu comme les publicités des années 1950 : il faut un homme en blouse blanche pour vendre du dentifrice.

Il faut dire que c’est plus commode de faire revenir toujours les mêmes « experts » sur les plateaux plutôt que de se fatiguer à chercher des nouvelles voix (et les personnes les plus pertinentes sur un sujet). Les médias français ronronnent dans l’entre-soi. Ce n’est pas forcément un complot machiavélique pour empêcher les femmes (et toutes les personnes « autres ») de gagner en visibilité, c’est surtout une paresse intellectuelle.

Après cinq années à Londres où je me suis nourrie essentiellement de médias britanniques (et américains), la pandémie (et le Brexit) m’ont ramenée sur le continent européen. Quand nous avons lancé Nouveau Départ avec Nicolas, j’ai donc entrepris d’inclure dans ma veille des médias français. 

Avec le recul, le constat que je fais à propos du paysage médiatique de mon pays est contrasté : d’un côté, il y a une quantité de nouveaux médias, podcasts, et newsletters inspirants (souvent féministes) dont l’audience ne cesse de grandir ; de l’autre côté, les grands médias traditionnels, y compris les hebdomadaires nationaux, sont largement conservateurs, innovent très peu et voient leur audience décliner de manière inéluctable.

Autrement dit, dans le paysage médiatique français, il n’y a pas d’équivalent du Financial Times ou de la BBC, deux grands médias « traditionnels » britanniques qui ont su opérer des tournants remarquables à l’âge numérique, notamment en comprenant l’importance de mieux refléter la population telle qu’elle est. 

Pour se renouveler, ces deux médias ne se sont pas contentés d’offrir des contenus plus digital friendly. Ils ont aussi utilisé la science des données pour mieux comprendre la société. En particulier, ces deux médias de premier plan ont entrepris de donner à entendre autant de voix féminines que masculines sur tous les sujets… et ont ainsi vu leur audience exploser depuis quelques années.

En France, en revanche, l’innovation se fait à la marge. Ce sont des nouveaux acteurs (actrices) qui savent capter l’attention du public (dont par exemple Welcome to the Jungle, un média avec lequel je travaille, dont l’audience connaît une croissance exponentielle). Au centre du paysage, les médias traditionnels se réfugient le plus souvent dans la médiocrité des « valeurs sûres » et peu diverses.

Plutôt que de désespérer, je voudrais proposer à ces vieux médias, ainsi qu’à toutes les organisations qui voudraient trouver des nouveaux relais de croissance, de s’inspirer de ce qu’a entrepris la BBC. À ce sujet, j’ai récemment interviewé Nina Goswami, journaliste « responsable de la diversité créative » à la BBC, sur les principes et la méthodologie du projet 50/50

Tout est parti en 2017 d’une équipe de journalistes qui, pour faire une place égale aux femmes dans ses contenus, a commencé à compter systématiquement les hommes et les femmes à l’antenne, avec pour objectif d’arriver à 50/50. Non seulement ils y sont parvenus, mais en plus, ce projet a essaimé dans toute l’organisation. 

Aujourd’hui, plus de 600 équipes de la BBC ont adopté le projet 50/50. La méthodologie mise en place a inspiré de nombreux médias et organisations dans le monde entier. Et le projet 50/50 comprend désormais une acception plus large de la diversité (minorités ethniques, handicap…). « La plus grande action collective jamais entreprise pour augmenter la représentation des femmes dans le contenu de la BBC » fait de cette vieille institution un lieu d’innovation qui inspire le monde entier.

👉 Découvrez ci-dessous quelques extraits de la transcription en français de ma conversation avec Nina. La transcription intégrale, quant à elle, est réservée à nos abonnés. Et pour ceux qui souhaitent écouter la version originale en anglais, rendez-vous sur Building Bridges !

La méthodologie du projet 50/50 expliquée sur le site de la BBC.

Femmes de 50 ans : invisibles dans les médias ? (conversation avec Sophie Dancourt).

007 : crise du cinéma et changement de société (conversation “À deux voix”).

Féminisme : la nouvelle génération (conversation avec Rebecca Amsellem).

Entreprendre sans permission (conversation avec Hugo Amsellem).

Nina Goswami a fait presque toute sa carrière en tant que journaliste à la BBC. Depuis l’an dernier, elle est « responsable de la diversité créative à la BBC" », en charge du projet 50/50, « la plus grande action collective jamais entreprise pour augmenter la représentation dans le contenu de la BBC ». L’interview intégrale a été mise en ligne la semaine dernière pour nos abonnés. En voici un extrait.

Comment le projet 50/50 a-t-il commencé ? Et quand ?

Tout a commencé à l’initiative d’un homme, le journaliste Ros Atkins, qui présente le programme Outside Source. C'était à Noël 2016. Il faisait un trajet en voiture dans le sud-ouest de l'Angleterre, en Cornouailles, à quelques kilomètres de Londres. Et il était en train d’écouter les stations de radio de la BBC. Pendant très longtemps, il n'a pas entendu une seule voix féminine. Et alors il s'est dit : « Comment est-ce possible ? À notre époque ? Nous, la BBC, affirmons essayer de faire passer plus de femmes à l'antenne, mais nous ne le faisons clairement pas. » Il a donc passé ses vacances de Noël à réfléchir à la façon de résoudre ce problème. Lorsqu'il est revenu, en janvier 2017, il a demandé à son équipe de mettre en place un nouveau système de mesure pour collecter les données sur la représentation à l’antenne.

Et c’est ce que nous faisons maintenant. Nous comptons le nombre d'hommes et le nombre de femmes dans notre contenu, et nous cherchons à atteindre une représentation de 50% de femmes au fil du temps. Ainsi, si vous prenez un programme d'information quotidien, comme Outside Source, c’est sur une période d'un mois que nous rendons des comptes. Ainsi, chaque jour, les créateurs de contenu regardent leur programme et comptabilisent les hommes et les femmes à l’antenne. Ensuite, lors du compte-rendu, lorsque nous disséquons le programme et la façon dont il s'est déroulé, ces ces données sont remontées.

Nous ne faisons pas cela uniquement pour ce programme. Et maintenant ce sont des calculs automatiques. Ainsi, si pendant deux semaines au cours du mois, nous avons eu 70 % de femmes, nous cherchons à revenir à un équilibre 50/50. L'équipe commence à en discuter. Les données sont régulièrement décortiquées. On identifie les lacunes et les moyens de faire entendre davantage de voix diverses sur chaque contenu. C'est donc en quelque sorte la base du comptage. Nous comptons pour apporter des changements. 

Quelle est l’ampleur actuelle de 50/50 à la BBC ?

Il y a au moins une équipe impliquée dans chaque division de la BBC : drame, comédie, radio en ligne, news... partout où vous pouvez contrôler le contenu et les communications, nous le mettons en place. Notre équipe de communication interne et notre service de presse le font également. Nous adaptons et personnalisons notre approche en fonction des besoins de l'équipe elle-même. Il est évident que vous ne surveillerez pas un texte de la même manière que vous surveillez une émission de radio. Et les perceptions changent en fonction du canal.

Or le projet 50/50 est un projet qui concerne la perception. Il n'est pas basé sur le fait de remplir des formulaires. C'est l'une des raisons pour lesquelles nos créateurs de contenu trouvent qu'il est facile de le faire parce qu'il n'y a pas de paperasse. C'est juste un système de comptage. 

Tu m’as demandé tout à l'heure quelles étaient les résistances en interne et comment nous avons fait participer ces personnes réticentes. Aujourd'hui, le système prend tellement d'ampleur qu'on se sent un peu à côté de la plaque si on n'en fait pas partie, et de nouvelles équipes se joignent à nous pour cette raison...dans l’idée que si tout le monde le fait, alors peut-être que nous devrions le faire aussi. 

Il reste encore des gens pour dire : « nous avons déjà beaucoup de femmes dans notre programme ». En général, je me tourne vers eux et je leur demande : « Ah oui ? Mais comment le savez-vous ? » Ils me répondent : « Comment ça, comment je le sais ? Je le sens. » Ce n'est pas suffisant. Vous devez être capable de comprendre à quoi ressemble votre programme et quelle en est la composition réelle. 

Un autre argument souvent avancé, c’est qu'il n'y a tout simplement pas de femmes expertes dans le domaine concerné. Et là je leur dis : « Ah oui ? Mais comment le savez-vous ? » Et on me répond : « Comment ça ? Nous mettons toujours les meilleurs experts à l’antenne, et ce ne sont pas des femmes. » Et je leur rétorque : « Comment savez-vous qu’il n’y a pas de femmes dans le domaine ? Avez-vous cherché ? Avez-vous fait des recherches pour trouver les contributeurs potentiels ? » Et c’est drôle, il y a toujours ce moment de silence où on entendrait presque le petit déclic qui se produit dans leur cerveau quand ils réalisent qu'en fait, non, ils n’ont pas fait de recherche et se sont seulement contentés de toujours faire venir le même expert depuis des années. 

Il est temps de commencer à chercher : qui d'autre peut prendre la parole ? C'est vraiment un grand moment. J'adore quand se produit ce déclic dans la tête des créateurs de contenu. C'est absolument génial. 

Et puis il y a l’argument économique. Je suis convaincue que c'est le plus puissant pour les personnes qui estiment qu'il n'est pas nécessaire d'augmenter la représentation des femmes. En tant que femmes, nous représentons 50 % de la population mondiale, en fait, 51 % de la population mondiale. Et si vos contenus ne les reflètent pas, vous ne risquez pas d’attirer plus de femmes vers vos contenus. L'une des choses vraiment intéressantes que nous avons constatée ces deux dernières années, c'est que le public constate une augmentation de la représentation des femmes dans les contenus de la BBC, et cela a un effet vraiment positif. 32% des femmes de 24 à 35 ans consomment plus de contenus en ligne de la BBC.

Nous avons constaté dans notre public cible, parce que nous essayons d'attirer plus de jeunes à la BBC (16-24 ans), que 40% d'entre eux apprécient davantage le contenu grâce à cela. Donc s'ils apprécient davantage le contenu, il est probable qu'ils y reviennent. C’est assez imparable comme argument. Même si vous vous fichez de la représentation des femmes, il y a quand même un vrai intérêt économique à le faire.

Dans certains secteurs comme la technologie, la finance ou le secteur bancaire, on avance cet argument que la raison pour laquelle il y a si peu de femmes, c’est qu’il n'y a « pas de pipeline ». Nous aimerions embaucher plus de femmes, mais il n'y en a tout simplement pas assez pour le faire. Alors comment le projet 50/50 de la BBC peut-il aider ? Peut-il servir de modèle à d'autres types d'organisations ?

Le programme 50/50 concerne les contenus, la communication. Nous avons un peu plus de 75 partenaires dans 22 pays, non seulement dans les médias, mais aussi dans le monde des entreprises. Et ce que font ces organisations, c'est qu'elles utilisent le programme 50/50 dans leurs communiqués de presse, leurs événements et, bien sûr, dans leur communication interne également. Mais le résultat est qu'elles doivent regarder de près leur entreprise pour voir où se trouvent toutes ces expertes qu'elles peuvent mettre en avant dans ces contenus et événements. 

Et ce faisant, elles identifient les lacunes de leurs ressources humaines. À ce stade, les données leur permettent de déterminer où se situent ces lacunes. Elles ont alors la possibilité, si elles le souhaitent, d'intervenir en amont. La Fondation Gates a récemment commandé un travail à ce sujet. On y parle de la nécessité de consacrer des ressources plus importantes. Vous devez créer la « pipeline ». Il faut que plus de femmes participent à des programmes de leadership. Par exemple, à la BBC, nous avons des douzaines de programmes pour aider les groupes sous-représentés à progresser dans leur carrière. La seule solution est d'intervenir en amont et de se donner des moyens importants. C'est la raison pour laquelle notre unité existe.

Ce qu’il faut, c’est que ces entreprises aillent de l'avant, qu'elles mettent les ressources nécessaires pour que des bases solides puissent être construites et des politiques structurées. Sinon, il n’y aura pas plus de femmes dans ces organisations. Avec 50/50, les organisations doivent identifier les bonnes personnes qui pourraient contribuer et être visibles à l'extérieur. Elles doivent identifier les personnes qu'elles pourraient accompagner et soutenir dans leur propre organisation pour les aider à progresser, et éventuellement accélérer leur carrière.

C'est un vrai processus de transformation. Aujourd'hui, il y a peu de femmes dans le secteur de la technologie parce qu'elles voient peu de modèles. Elles ne voient pas de femmes visibles en qui s'identifier. Le programme 50/50 peut changer les choses en incitant les organisations concernées à mettre en avant leurs modèles féminins forts pour les médiatiser afin qu'elles deviennent plus visibles. Et, ça peut inspirer une petite fille à devenir ingénieure demain.

Ça me fait penser à un excellent exemple. Nous avons un présentateur météo appelé Matt Taylor, et il essaie depuis toujours de faire jouer ses filles au football. Et puis quand la Coupe du monde de football féminin a eu lieu et qu'elle a été si populaire au Royaume-Uni, ils ont regardé la Coupe du monde de football féminin en famile et après, les filles ne voulaient plus rien faire d’autre que jouer au football. C'est le pouvoir de l'exemplarité. Et c'est ce que tous ces secteurs doivent faire pour essayer d'attirer plus de femmes dans ces domaines particuliers.

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(Générique : Franz Liszt, Angelus ! Prière Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)

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