Notre premier podcast “À deux voix” 🎧 de la semaine est consacré à l’avenir des villes 🌆 Comment la pandémie et la crise économique affectent-elles la géographie du travail et la vivacité urbaine ? De nombreux débats font rage dans cette période de pandémie à propos du “déclin” de certaines villes comme New York ou San Francisco.
Les sujets d’urbanisme nous passionnent, Nicolas et moi, et plusieurs podcasts Nouveau Départ y sont déjà consacrés. Dans cet épisode, nous mêlons deux de nos sujets préférés — le futur du travail et l’avenir des villes — pour discuter des transformations de l’économie urbaine et de la vie en ville.
La crise actuelle frappe durement les grandes villes. Le virus a fait des ravages dans des villes denses comme New York (où l’on a déploré plus de 35 000 décès du Covid-19 cette année). La crise sanitaire a mis à l’arrêt de nombreuses activités qui font la vivacité des villes : les théâtres, la vie culturelle, les restaurants… Et les grandes villes pourraient souffrir de la chute de leurs revenus pendant des années.
Alors que le télétravail se banalise dans les entreprises, on commence à se demander ce que cela pourrait changer à la géographie du travail. À San Francisco, où les géants numérique prolongent le télétravail jusqu’en 2021 et certaines entreprises envisagent de le pérenniser au-delà, les départs sont déjà massifs. Certains s’installent ailleurs en Californie, d’autres dans le Colorado ou l’Arizona, où les loyers sont moins élevés.
Mais la pandémie ne transforme pas la géographie du travail de manière aussi brutale qu’on pourrait le penser. Le futur du travail est fait en grande partie de ce que Nicolas et moi appelons les “services de proximité”. Ces derniers se développent là où il y a une densité de population suffisante, et là où des effets de réseaux sont possibles. Le sujet occupe une place centrale dans nos livres respectifs (Du Labeur à l’ouvrage et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial).
Les villes qui semblent les plus affectées par la crise actuelle sont celles où l’équilibre entre les “classes créatives” (ingénieurs, cadres et créatifs de l’économie numérique) et les travailleurs des services de proximité était déjà mis à mal par des prix de l’immobilier insoutenables. C’est là où les effets délétères de la gentrification ont créé des déséquilibres que la pandémie a accéléré une transition nécessaire. Pour expliquer cela, Nicolas et moi évoquons les “trois phases” de la gentrification et le “point de bascule” à partir duquel un déséquilibre doit être corrigé.
👉 À propos des travailleurs des services de proximité, écoutez notre entretien avec Denis Maillard : Quelle reconnaissance pour les travailleurs du "back office" ? 🎧
La pandémie révèle certains déséquilibres urbains. Elle accélère (à la marge) certains mouvements qui avaient commencé avant la crise. On observe aussi une redistribution entre villes, où certaines, plus petites, tirent leur épingle du jeu. Mais les grandes villes, tels des organismes vivants, évoluent et se transforment plus qu’elles ne “déclinent”.
Comme l’explique Geoffrey West, ancien président de l'Institut de Santa Fe et chef de file dans l'établissement d'un modèle scientifique des villes, les villes doivent être appréhendées comme des organismes vivants. Les villes ne meurent pas (sauf catastrophe naturelle exceptionnelle), à la différence des entreprises. La raison principale en est que les villes attirent les marginaux et les excentriques, tandis que les entreprises finissent toujours par rejeter ces personnes. De ce fait, les villes ont une résilience que les entreprises n’ont pas.
Bien des caractéristiques des villes évoquent la vie. Elles sont en constante évolution, s’adaptent, évoluent, grandissent sous différentes formes. D’une certaine façon elles se reproduisent. Il est clair qu’elles métabolisent dans le sens où elles utilisent énergie et ressources, notamment en termes de croissance. Elles ont donc beaucoup de points en commun avec les organismes.
Mais les villes sont le lieu d’interactions entre les êtres humains, d’échanges d’informations. Nous faisons tous partie d’un immense réseau social sur lequel nous construisons quelque chose de plus grand. Elles sont l’endroit à partir duquel le comportement collectif mène à de nouvelles inventions, à de nouvelles idées et crée de la richesse. Cela n’arrive pas dans la biologie à moins que l’on utilise une période extraordinairement longue.
Quelques interviews récentes pour aller plus loin sur la question urbaine :
👉 COVID-19 et urbanisation : continuerons-nous d'habiter dans les villes ? 🎧 (conversation avec Robin Rivaton)—accessible à tous.
👉 Covid-19 : les bureaux et la ville du futur 🎧 (conversation avec Camille Rabineau)—accessible à tous.
Enfin, pour les femmes et l’activisme féministe, les villes présentent des avantages uniques que la pandémie n’aura pas anéantis. La “ville féministe”, c’est le sujet du livre d’une chercheuse canadienne, Leslie Kern, à propos duquel j’ai rédigé la “Note de lecture” de cette semaine : Feminist City.
Faciliter le care, (marchand et non marchand), c’est un élément essentiel de ce qui constitue une "ville féministe". Cela concerne tant les transports publics — et la possibilité de prendre les transports en commun avec une poussette — que les services de garde d'enfants, l’offre scolaire et médicale, et la politique du logement.
En outre, l’existence de logements abordables permet aux travailleuses du care de se loger à proximité des lieux où elles doivent travailler (ce qui est de plus en plus difficile dans les très grandes villes où les prix du logement ont explosé). Cela permet aussi d’avoir des quartiers où les usages sont multiples et mixtes.
Comme le care n’est pas seulement professionnel, les familles dépendent aussi de réseaux d’entraide (amis, famille) pour la garde de leurs enfants ou le soin aux personnes âgées. Des réseaux de solidarité sont souvent facilités, là où la densité urbaine est importante et les transports en commun de qualité.
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(Générique : Franz Liszt, Mephisto-Valse, S.514—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)
Les villes après la pandémie