Bonjour à tous ! Chaque lundi nous vous envoyons un “Édito” au format écrit 📝👇 ET audio 🎧☝️, pour à la fois mettre la semaine à venir en perspective et rappeler les contenus mis en ligne la semaine précédente.
Voici le cinquième “Édito” de cette nouvelle saison, sur la bonne manière de faire avancer les causes féministes, suivant l’exemple de la juge américaine Ruth Bader Ginsburg, décédée vendredi dernier.
Le décès de la juge à la Cour Suprême américaine Ruth Bader Ginsburg provoque un tremblement de terre en cette année électorale. Doyenne de la Cour, “RBG” écrivait l’histoire judiciaire américaine avec ses opinions dissidentes. Dans une Cour majoritairement conservatrice, elle était un “phare” pour les progressistes. Atteinte d’un cancer du pancréas, dont de récentes métastases la condamnaient désormais, RBG est morte dans l’angoisse que Trump nomme son successeur avant que ne soit élu un nouveau président. Si cela se produit, la Cour aura en effet une écrasante majorité conservatrice pour les décennies à venir.
Pour une majorité du pays, l’angoisse ne s’arrête pas là. La Cour Suprême pourrait également jouer un rôle dans la prochaine élection, comme elle l’a déjà fait en 2000 quand elle a ordonné l’arrêt du recomptage des voix dans l’État de Floride et donné la victoire au candidat républicain George W. Bush. Il devient de plus en plus probable que les résultats du vote de cette année seront contestés en novembre et feront l’objet de batailles judiciaires que la Cour suprême pourrait être amenée à arbitrer. Sans RBG, il devient plus probable que la Cour soutiendra Trump dans ces litiges.
C’est pourquoi Nicolas et moi allons consacrer notre premier podcast “à deux voix” au sujet de la Cour suprême des États-Unis. Nous voulons rappeler à nos abonnés les enjeux institutionnels et historiques qui permettent de mieux comprendre la politique américaine. C’est sur ces sujets que nous avions fait nos premiers “À deux voix” dans les cours que donnions ensemble à Sciences-Po il y a maintenant plus de dix ans. (A l’époque, nous n’aurions pas imaginé faire des podcasts !)
Mais ce n’est pas le tremblement de terre politique de 2020 qui est le sujet de mon édito de cette semaine. Je voudrais ici mettre l’accent sur la stratégie et l’intelligence qui furent celles de RBG dans ses combats féministes et tous ses combats pour l’égalité. Ce n’est pas pour rien que RBG était une icône féministe. Avant de devenir la deuxième femme juge à la Cour suprême (nommée par Bill Clinton en 1993), elle a plaidé en tant qu’avocate six affaires devant la Cour suprême, parmi lesquelles elle a remporté cinq victoires.
Avant elle, Thurgood Marshall, héros des droits civiques, avocat de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), avait gagné ses galons de grand juriste en plaidant l’affaire Brown v. Board of Education (interdisant la ségrégation raciale dans les écoles) devant la Cour suprême. Il est ensuite devenu le premier juge noir membre de la haute juridiction, nommé par Lyndon Johnson dans les années 1960. Le parcours de RBG est similaire. Elle a d’abord fréquenté la Cour suprême comme avocate, pour faire avancer la cause de l’égalité, avant de devenir juge puis d’être nommée à la Cour suprême par Bill Clinton.
Comment RBG a-t-elle pu être victorieuse cinq fois sur six à une époque où il n’y avait pas de femme à la Cour et où l’écrasante majorité des juges (et des hommes de pouvoir en général) ne reconnaissaient pas l’existence des discriminations contre les femmes (ou bien ne les voyaient pas comme un problème) ? Son intelligence stratégique et tactique consistait en ce qu’on pourrait appeler une “ruse empathique”. Face à des hommes qui n’avaient jamais fait l’effort de se mettre dans la peau de l’autre, Ginsburg a fait du féminisme une affaire d’hommes. Et c’est comme cela qu’elle les a convaincus.
En 1973, par exemple, dans l’affaire Frontiero v. Richardson, elle a représenté une femme lieutenante de l’armée de l’air à qui il avait été interdit de réclamer une allocation pour personne à charge pour son mari. La loi fédérale prévoyait que les épouses des militaires deviennent automatiquement des personnes à charge. Mais on refusait aux hommes le “privilège” de dépendre de leur femme ! Ginsburg a obtenu gain de cause : les critères de qualification différents pour la dépendance des époux et des épouses dans l’armée représentent une discrimination.
En 1975, dans l’affaire Weinberger v. Wiesenfeld, elle a défendu un homme qui s’était vu refuser des prestations sociales suite au décès de sa femme en couches, car les aides qu’il demandait étaient accordées aux veuves, mais pas aux veufs. Avec cette affaire, elle a à nouveau fait valoir l’idée que les attitudes rigides concernant les rôles genrés nuisaient à tout le monde (pas seulement aux femmes). Les juges se sont montrés plus réceptifs aux plaignants de leur propre sexe qu’ils ne l’auraient été avec des personnes du “deuxième sexe”.
Ginsburg était non seulement une immense juriste et une championne de la cause de l’égalité, elle était aussi une fine stratège qui comprenait la psychologie des personnes en position dominante. La grande leçon de ses succès est que la meilleure façon de faire progresser les droits des femmes, c’est de défendre les hommes et leur droit à l’égalité de traitement devant la loi.
Dans un monde idéal, les personnes de pouvoir seraient des personnes diverses reflétant la population, et des personnes qui n’auraient pas besoin de “ruse empathique” car capables de faire l’effort de se mettre dans la peau de l’autre. Au lieu de cela, RBG a dû mener des campagnes d’éducation à l’empathie pour faire comprendre les enjeux d’égalité. Comme elle l’a dit elle-même dans un documentaire consacré à sa vie, “je me voyais comme une sorte d’institutrice de maternelle (...) parce que les juges ne pensaient pas que la discrimination sexuelle existait.”
La leçon de Ginsburg reste (hélas) d’une grande actualité aujourd’hui. La “ruse empathique” reste souvent nécessaire et peut être un bon moyen de faire avancer les causes féministes. C’est sans doute pour cela que les sujets comme l’allongement du congé paternité sont si populaires aujourd’hui. Défendre le droit des hommes à être des bons pères, à s’arrêter de travailler pour s’occuper d’un nourrisson, à être pères dans des couples de même sexe, à obtenir la garde des enfants en cas de divorce, c’est être féministe. Le féminisme, au fond, c’est fait pour les hommes.
⚖️ La Cour suprême dans l’histoire
Mardi 22 septembre | Podcast “À deux voix” 🎧 sur la Cour suprême américaine et les péripéties politiques suite au décès de Ruth Bader Ginsburg. De nombreux Américains angoissent à l’idée qu’un successeur (conservateur) soit nommé avant le début du prochain mandat présidentiel. La Cour suprême pourrait aussi jouer un rôle déterminant dans cette année électorale. Avec Nicolas, nous rappelons les enjeux institutionnels et historiques qui permettent de mieux comprendre la politique américaine 🇺🇸
🎥 Un documentaire sur le futur du travail
Mercredi 23 septembre | Interview 🎧 de Samuel Durand, “explorateur” du futur du travail. Quand il n’était encore qu’étudiant en école de commerce, Samuel a choisi de faire un tour du monde du monde du futur du travail plutôt que de faire un stage à la Défense. Ça a donné “Going Freelance”. Depuis quelques mois, il travaille à la réalisation d’un documentaire et part à la rencontre de ceux qui inventent les nouveaux modèles du travail. Il m’a interviewée dans le cadre de son documentaire. Je lui retourne ses questions dans cet entretien 😈
😤 Sommes-nous condamnés aux files d’attente ?
Jeudi 24 septembre | Podcast “À deux voix” 🎧 sur le sujet des files d’attente. Alors que la France vient de battre un record en nombre de contaminations quotidiennes au COVID-19 (13 500 en 24 heures), on promet de réaliser plus de tests. Mais les laboratoires représentent un goulot d’étranglement, et les files d’attente s’allongent. Nous en profitons pour discuter des files d’attente en général, de transition numérique, de culture, de services publics et des files d’attente riches en “bonne” friction (oui, cela existe 😜).
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🇮🇳 Que se passe-t-il en Inde ?
Les Français connaissent mal l’Inde, un pays certes gigantesque et important sur la scène internationale, mais qui est souvent éclipsé par la Chine voisine. Or l’Inde, en plus de traverser une crise sanitaire et économique gravissime, est en train d’accélérer sa transition et de faire émerger des grandes entreprises numériques. Il était temps qu’on y consacre un podcast “à deux voix” !
👉 Écoutez 🎧 Que se passe-t-il en Inde ?—réservé aux abonnés.
👉 Lisez ou écoutez 🎧 aussi notre “Note de lecture” sur "The Billionaire Raj", de James Crabtree 🇮🇳—réservé aux abonnés.
🧒 Le futur de la garde d’enfants
La pandémie à révélé l’importance des travailleurs “essentiels” ou du “back office” (pour reprendre l’expression de Denis Maillard) qui nous rendent ces services de proximité indispensables au bon fonctionnement de l’économie. Parmi eux, les nounous qui gardent nos enfants sont à la fois familières et méconnues. Laetitia en parle avec Maïmonatou Mar, fondatrice de l’association Gribouilli.
👉 Écoutez 🎧 Le futur de la garde d’enfants—accessible à tous.
🇪🇺🇺🇸 La nouvelle politique de la concurrence
On parle sans cesse de “réguler” voire “démanteler” les géants numériques américains. Mais avant de tirer des conclusions hâtives, il est important de revenir sur l’histoire de l’antitrust et de mieux comprendre ses objectifs. Avec Laetitia, nous échangeons sur les grands précédents de l’histoire du droit de la concurrence et les leçons à tirer pour l’avenir.
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