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"The Billionaire Raj", de James Crabtree 🇮🇳
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Pendant près d’un siècle avant son indépendance en 1947, l'Inde a été soumise au système de gouvernance britannique connu sous le nom de Raj (c’est un mot sanskrit signifiant “royaume” ou “domination”). Puis, de l’indépendance jusqu’au début des années 1990, le pays a été sous la coupe d’une économie planifiée, le “Raj de la licence”, dont les exigences réglementaires strictes visaient à protéger le pays de la concurrence étrangère pour l’aider à se développer. Enfin, depuis 1991, l’Inde serait sous l’emprise d’un nouveau régime, le “Raj des milliardaires”.

Après avoir été à la merci des administrateurs de l’Empire, des maharadjahs choisis par les Britanniques, puis des petits bureaucrates, l’Inde est désormais sous la coupe des super-riches, explique James Crabtree, ancien chef de bureau du Financial Times à Mumbai, qui a passé plusieurs années à suivre les feuilletons économiques indiens dont les super-riches sont devenus les principaux héros. 

Alors que l’Inde ne comptait que deux milliardaires dans les années 1990, elle en compte plus de 100 aujourd’hui. À bien des égards, l’Inde n’est pas sans rappeler, selon Crabtree, l’oligarchie russe. D’ailleurs, on a surnommé ces milliardaires indiens les Bollygarches. Et le “capitalisme de copinage” (crony capitalism), c’est-à-dire la collusion entre les élites politiques et le monde des affaires qui veut s’approprier les ressources publiques, gangrène le pays.

Comme l’écrit James Crabtree, “l'ancien système indien de planification centrale et de contrôle de l'État a créé un terrain fertile pour la corruption, obligeant les citoyens et les entreprises à payer une myriade de pots-de-vin pour les services publics de base. Pourtant, ces problèmes de corruption étaient insignifiants par rapport à ceux qui sont apparus pendant les années 2000. Des actifs rares valant des milliards dans des secteurs comme les télécommunications et l’extraction minière ont été offerts à de grands magnats, dans une série de scandales connus sous le nom de ‘saison des escroqueries’. Des pots-de-vin géants ont permis à des entreprises d'acquérir des terrains, de contourner les règles environnementales ou de remporter des contrats d'infrastructure”.

Reviewer and Critic | Asia Society

L’auteur dresse en particulier un portrait passionnant des titans de la politique et de l’industrie qui façonnent le pays dans cette période de changements radicaux. De nombreuses pages sont consacrées à la figure de Narendra Modi, vainqueur de la plus large élection de l’histoire mondiale. Figure controversée, Modi a cultivé l’image d’un homme qui veut mettre fin à la corruption. Mais s’il a pris quelques mesures aux effets peu convaincants, cela s’est fait au prix d’une montée inquiétante du nationalisme et d’une tendance autoritaire dont les millions de Musulmans (particulièrement au Kashmir) sont aujourd’hui les victimes. 

Parmi les milliardaires (affreux mais hauts en couleurs) décrits dans The Billionaire Raj, la figure la plus incontournable du livre est Mukesh Ambani, le président de Reliance Industries et aujourd’hui champion du numérique indien. Avec le géant Jio, qu’on appelle en France le “Free indien”, Mukesh Ambani contrôle aujourd’hui l’internet mobile en Inde. (Il a récemment convaincu Facebook et Google d’entrer à son capital.) 

La saga de la famille Ambani passionne les Indiens depuis déjà 20 ans. Lorsque le patriarche, Dhirubhai Ambani est décédé, il a laissé le conglomérat (Reliance Industries) à ses deux fils, Mukesh et Anil. Après plusieurs années de luttes fratricides, c’est Mukesh qui a gagné et Anil n’a échappé que de peu à la faillite personnelle. Mukesh Ambani est en 2020 l’homme le plus riche d’Asie (plus riche que Jack Ma !). Et Reliance Industries est la société indienne avec la plus forte valorisation.

L'une des nations les plus inégalitaires de la planète peut-elle devenir la prochaine superpuissance ? C’est la grande question que l’on retient de ce livre. L'essor économique spectaculaire du pays a poussé les inégalités à de nouveaux extrêmes. Bien qu’il y ait aujourd’hui une classe moyenne dans les grandes villes, des millions de personnes restent encore prisonnières des bidonvilles et la corruption reste endémique. Les réformateurs se battent pour arracher la nation à ces démons, mais la plus grande démocratie au monde se classe au-dessus des États-Unis, du Brésil et même de la Russie du point de vue des inégalités. (Seule l'Afrique du Sud fait pire.)

La pandémie de COVID-19 et la crise économique qui l’accompagne frappent particulièrement durement les pays les plus inégalitaires du monde (l’Inde, les États-Unis, le Brésil, ou encore la Russie). Elles révèlent et amplifient les faiblesses d’un pays : l’insuffisance des services de santé, les inégalités femmes / hommes, la taille de l’économie informelle, la pauvreté… Crabtree a écrit son livre en 2018, avant la crise actuelle, mais il permet de mieux comprendre la catastrophe indienne en 2020. Pour un avenir “plus démocratique et plus libéral”, l’Inde doit “mener à bien sa transition”, trouver “une ère progressiste qui lui est propre” et laisser derrière elle “le péril des inégalités et du capitalisme de copinage”. 



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