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La grossesse : nouvelle frontière du féminisme
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La grossesse : nouvelle frontière du féminisme

Nouveau Départ | Interview | Judith Aquien

Et si la grossesse était la nouvelle frontière du féminisme ? Longtemps ignorée par les féministes, la grossesse est pourtant un sujet essentiel : source de violences médicales, de souffrances tues et de discrimination au travail, elle marque aussi une accélération des inégalités économiques.

J’en parle avec Judith Aquien dont le livre Trois mois sous silence, qui vient de sortir chez Payot, lève le voile sur la tabou du début de la grossesse.

Une chape de plomb demeure sur la condition de femmes lors des trois premiers mois de grossesse ainsi que sur le “deuil sans rituel ni reconnaissance” que représente la fausse couche. (Pourtant ce sont au moins 200 000 femmes qui traversent cette épreuve chaque année en France !)

Le livre de Judith dénonce la non prise en charge psychologique, sociale et médicale du début de la grossesse. Il faut attendre trois mois pour obtenir le “certificat de grossesse” à partir duquel les soins médicaux sont couverts à 100%. Cela signifie-t-il qu’avant cela, la femme enceinte n’est pas '“vraiment” enceinte ?

Cette non reconnaissance du début de grossesse est inséparable du tabou de la fausse couche. Avant la fin du premier trimestre, la femme enceinte est dans une sorte de “tiers état” : pas encore vraiment enceinte, mais déjà tout à fait à la merci des chamboulements hormonaux. Elle subit tout en silence.

Pour 85 % des femmes, les trois premiers mois de la grossesse sont, par certains aspects, un enfer tant physique que psychologique : nausées, vomissements, fatigue extrême, état dépressif, peur de la fausse couche et, dans près de 20% des cas, fausse couche réelle…

Alors que le début de grossesse est marqué par l’insécurité permanente d’un corps qui met tout en place pour accueillir la vie, rien ne doit transparaître de l’état des femmes : elles sont invitées à prendre sur elles, au travail comme à la maison, et à taire ce qu’elles endurent.

Je partage la colère de Judith concernant la maltraitance, l’infantilisation, l’humiliation, les violences médicales, l’absence d’écoute et la discrimination que de nombreuses femmes subissent pendant la grossesse.

L’infantilisation des femmes, au moment précis où elles sont censées devenir parfaitement “adultes”, trouve son expression la plus ridicule dans le vocabulaire mignon et les nombreuses litotes qui entourent la grossesse : les “petits inconforts” et autres “petits maux” font passer les femmes pour des petites filles impatientes lorsqu’elles osent en parler.

Pourtant, ces “maux”, hors grossesse, ne pourraient aucunement être qualifiés de “petits” ! Comment peut-on refuser de soigner, traiter, et considérer la majorité des femmes qui passent trois mois à vomir sans cesse ? s’interroge-t-elle.

Dans quelle société correctement pensée laisse-t-on, sans le moindre dispositif, notamment au travail, 50% de sa population vomir trois à quatre mois d’affilée sans main tendue ? Comment est-il possible que, sachant que ce symptôme touche 85% des femmes, l’ensemble des responsables RH ne se soient pas accordés pour proposer le télétravail à un maximum de femmes dès le début de leur grossesse (induisant ainsi qu’on en parle, oui, oui) afin qu’elles puissent être un minimum soulagées tout en maintenant leur activité professionnelle ?

Judith a fait préfacer son livre par la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie qui place le corps au centre de sa réflexion. La philosophe parle du tournant génital du féminisme”, “une vaste dynamique de réappropriation par les femmes de leur corps dans ses dimensions les plus intimes”.

Tout a commencé avec la question des cycles menstruels que les femmes ont décidé de publiciser ; puis les thématiques génitales ont surgi les unes après les autres : campagne sur l’endométriose, redécouverte du clitoris, modélisé en 3D, et enfin représenté dans les manuels scolaires, débat autour des modes de contraception et de la charge contraceptive, dénonciation des violences gynécologiques et obstétricales, publication en rafale d’ouvrages consacrés aux organes génitaux et à leur fonctionnement, foisonnement des initiatives dédiées à la sexualité et au plaisir, combat pour l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, explosion des révélations liées au harcèlement et aux violences sexuels, et plus récemment, publicisation des thèmes tabous comme l’avortement, le post-partum et enfin, grâce à cet ouvrage, le premier trimestre de la grossesse et la fausse couche.

Je suis reconnaissante à Judith de faire évoluer les regards sur la grossesse et d’en faire un sujet à part entière du féminisme. C’est pourquoi je recommande chaudement la lecture de son livre Trois mois sous silence. Pour une bonne entrée en matière, vous pouvez commencer par écouter ce podcast 🎧


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(Générique : Franz Liszt, Angelus ! Prière Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic. Crédit photo : Alexandre Isard pour Payot.)

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