La fin des programmes Diversité & Inclusion dans les entreprises ?
Nouveau Départ, Nouveau Travail | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Il ne vous a sans doute pas échappé que Mark Zuckerberg a annoncé qu’il mettrait fin aux programmes de fact-checking chez Meta. Mais entre l’inaugiration de Trump, l’omniprésence de Musk et toute l’actualité, peut-être que cette autre nouvelle n’a pas attiré votre attention : l’annonce par Zuckerberg de la fin de tous les programmes de diversité, d'équité et d'inclusion (DEI) au sein de Meta.
Cette décision, couplée à ses déclarations sur le besoin de « plus d'énergie masculine » dans les entreprises, marque un tournant inquiétant. Avec le retour de Trump et la montée de la résistance contre la soi-disant culture « woke », les initiatives DEI subissent des assauts de plus en plus virulents. Qu’est-ce que cela signifie pour le mouvement global en faveur de lieux de travail plus inclusifs ? Les entreprises peuvent-elles se mettre à revendiquer ouvertement sexisme, racisme, âgisme et / ou homophobie ?
Le cas Meta et « l’anti-wokisme »
La décision de Meta de mettre fin à ses programmes DEI illustre ce qui semble être une tendance plus large qui touche les grandes entreprises, en particulier américaines. Dans un récent podcast avec Joe Rogan, Zuckerberg a fait remarquer que les entreprises avaient besoin de « plus d'énergie masculine » et d’ « agressivité » dans leurs cultures (associant au passage masculinité et agressivité), un commentaire que l’on peut sans peine interpréter comme un rejet direct des principes mêmes que ces programmes cherchent à promouvoir.
Voir Zuckerberg se comporter à ce point en « petit caniche » face à Trump, en surjouant le jeu de la soumission, comporte un paradoxe évident : Zuck vante l’agressivité et l’énergie masculine mais s’écrase devant Trump avec les plus grandes marques de soumission (est-ce dans le stéréotype « masculin » d’offrir tant de soumission ?) Si l’énergie masculine et l’agressivité sont nécessaires, ne le sont-elles pas précisément pour contrer les mensonges de Trump et défendre la justice ?
Hélas, ce jeu a indéniablement des répercussions. L'essor du mouvement anti-woke, largement alimenté par Trump, Musk et toutes les figures et médias d’extrême-droite dans le monde, a créé une nouvelle vague de résistance aux efforts en faveur de la diversité et de l'inclusion dans les entreprises, dans les universités et la fonction publique américaines. Les détracteurs estiment que ces initiatives mènent à de la « discrimination inversée » et désavantagent injustement les hommes, surtout les hommes blancs. Ces critiques ont trouvé un fort écho auprès de l’électorat dans un contexte de polarisation culturelle accrue.
En parallèle, d’autres entreprises (comme Walmart, McDonald’s, Disney ou Boeing) ont suivi le même chemin « anti-woke », préoccupées par les éventuelles réactions négatives de la part des parties prenantes et des clients conservateurs. « L’anti-wokisme » n’est plus uniquement dans le discours politique. Il affecte donc directement les stratégies des entreprises.
L'impact sur les salariés et le recrutement
Le rejet de toute ambition de DEI aura des conséquences graves pour les salariés, notamment ceux issus de groupes historiquement marginalisés. En effet, les initiatives DEI ont joué un rôle essentiel pour corriger certaines inégalités systémiques au sein des entreprises, en offrant des opportunités aux individus de groupes sous-représentés et en favorisant des environnements où des perspectives diverses sont valorisées. Elles ont donc fait beaucoup pour condamner le harcèlement, empêcher les micro-agressions, rendre tabous les discours ouvertement racistes et sexistes. Elles ont fait beaucoup pour faire progresser (un peu) le sentiment de sécurité psychologique de tous les salariés. Elles ont fait beaucoup pour élargir (un peu, pas beaucoup) le vivier de candidats.
Mettre fin à tout cela, c’est choisir de revenir en arrière. Pour les salariés qui ont bénéficié des programmes DEI—que ce soit par des programmes de mentorat, des quotas de recrutement ou une plus grande visibilité—ce retrait est un revers personnel. Cela aura vraisemblablement un impact direct sur les pratiques de recrutement et une influence sur beaucoup d’autres entreprises du secteur technologique.
Pourquoi la Silicon Valley qui a pendant tant d’années cherché à ratisser plus large pour aller chercher les « talents » du monde entier se met-elle soudain à restreindre le champ des possibles ? Eh bien, parce que la culture bro a gagné. Les bros se serrent les coudes. Depuis deux ans, les entreprises de la Silicon Valley ont licencié des centaines de milliers de gens. Et elles voudraient bien en faire partir encore d’autres. Elles avaient trop recruté les années précédentes. Pour cela, il y a deux moyens : forcer le retour au bureau fera partir ceux / celles (notamment les mères de famille) qui comptent sur le télétravail ; faire la chasse à la DEI fera partir les « bien-pensants » démocrates (là encore, notamment les femmes et les personnes issues de minorités). Bon débarras, se disent les patrons de la Silicon Valley.
Alors qu’une grande partie des femmes américaines ont perdu le droit à l’avortement, elles perdent progressivement aussi le droit de travailler dans un espace où on ne peut pas les insulter et les harceler. Progressivement les salariés issus de minorités pourraient se sentir de moins en moins encouragés à s’exprimer ou à revendiquer leurs droits. Les programmes de diversité ne sont pas seulement des outils de recrutement, ils contribuent à créer une culture où les voix diverses sont mieux entendues et valorisées. Sans un engagement clair envers ces principes, les entreprises risquent de créer un climat hostile pour toutes les personnes qui sentent que leur point de vue n’est plus prioritaire.
Un effet mondial ?
Les entreprises multinationales fixent souvent la norme pour les pratiques de diversité à l’échelle mondiale, et ce qui se passe aux États-Unis influence donc fréquemment les normes à l’international. Si des entreprises comme Meta se retirent de leurs engagements en matière de diversité, d’autres pays pourraient suivre cet exemple, en particulier dans les régions où la DEI est perçue comme un concept « occidental » imposé à des cultures locales.
Il leur semple plus facile de tout arrêter que de réfléchir avec esprit critique (et scientifique) aux raisons pour lesquelles de nombreux programmes de DEI n'ont pas porté tous leurs fruits ou suscitent un rejet idéologique croissant. La peur des pressions politiques est mise en avant pour éviter de faire un examen des failles structurelles, des biais cognitifs ou des lacunes dans la mise en œuvre de ces initiatives.
Mais bien que certaines entreprises réduisent leurs efforts, on peut espérer que d’autres seront susceptibles de renforcer leur engagement envers des valeurs essentielles, reconnaissant l'importance croissante de la diversité tant pour le recrutement que pour la confiance des consommateurs. La capacité à attirer et à retenir les travailleurs issus d’horizons divers reste un atout concurrentiel pour les entreprises, surtout dans un contexte de transition démographique et de manque de main-d’œuvre.
La demande pour des lieux de travail inclusifs ne va pas disparaître. À mesure que les normes sociétales évoluent, les entreprises doivent reconnaître que la diversité n'est pas seulement une question morale et politique, mais aussi stratégique et économique. En fin de compte, les entreprises qui choisiront de maintenir leurs objectifs DEI, notamment en Europe, auront une longueur d’avance : elles seront plus innovantes, mieux à l'écoute des attentes d'un marché de plus en plus féminin et, à mesure que la population vieillit, elles sauront s’adapter aux évolutions démographiques pour rester compétitives.
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Laetitia | Cofondatrice de la société Cadre Noir, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité. Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 17 ans. Après avoir vécu près de 10 ans à Londres puis à Munich, nous sommes revenus en France en août 2024. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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