Retour au bureau : la « sécurité psychologique » a bon dos !
Nouveau Départ, Nouveau Travail | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici le deuxième article de ma nouvelle série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Le concept de sécurité psychologique au travail est essentiel dans la création d’un environnement propice à l’épanouissement individuel et à l’efficacité. Il s’agit d’un climat de confiance où chacun se sent libre de s’exprimer, de poser des questions et d’admettre ses erreurs, sans craindre moqueries ou sanctions. À l’inverse, dans un environnement hostile, il y a méfiance et silence. Le climat de sécurité psychologique permet aux individus d’être eux-mêmes et de soulever des problèmes plutôt que de les taire. Ce concept, situé à l’intersection de la psychologie, de la sociologie et du management, montre bien à quel point le bien-être individuel et la cohésion collective se renforcent mutuellement.
Dans le contexte actuel où l’appel au « retour au bureau » semble à la mode, la sécurité psychologique est souvent invoquée par les entreprises pour justifier la fin du télétravail ou du modèle hybride. Des géants comme Amazon ou Ubisoft mettent en avant cet argument pour forcer leurs collaborateurs à revenir au bureau, affirmant que la sécurité psychologique, la créativité et la productivité sont mieux assurées en présentiel.
Mais le télétravail et le travail hybride entravent-ils vraiment la sécurité psychologique ? Ou bien assiste-t-on à une forme de security washing, où des entreprises utilisent ce concept de manière opportuniste pour justifier des décisions organisationnelles en leur faveur, sans considération pour le bien-être des employés ? (J’admets qu’on peut déjà lire ma réponse dans la question mais lisez quand même la suite !)
La sécurité psychologique et le travail hybride
Assurer la sécurité psychologique est assurément plus difficile dans un environnement hybride : les collaborateurs se voient moins souvent et manquent des interactions non verbales, comme le langage corporel et les moments informels.
Quand on regarde le sujet sous l’angle anthropologique, on comprend que les relations de travail se fondent sur des « signaux d’appartenance » essentiels (j’emprunte le concept à Daniel Coyle dans The Culture Code). Ces signaux ont 3 caractéristiques — l’énergie (écoute active et engagement), l’individualisation (reconnaissance de chacun) et l’orientation vers l’avenir (relations pérennes). On comprend que ces signaux reposent beaucoup sur le langage corporel et sur les moments informels qui permettent son déploiement. Le primatologue Robin Dunbar a mis en évidence que notre utilisation du langage est analogue à l’épouillage chez les grands singes : on s’épouille ou on se parle pour renforcer les liens sociaux et créer un sentiment de sécurité dans le groupe.
Donc oui, dans un contexte hybride, c’est plus difficile : maintenir la confiance requiert des pratiques spécifiques, comme le contact visuel, des règles de communication claires, et du small talk régulier. Mais s’il est bien organisé, le travail hybride peut aussi être un terreau fertile pour développer de nouveaux codes et pratiques favorisant cette sécurité psychologique. Il faut y penser et l’organiser.
Le poids prépondérant de l’exemplarité managériale
L’exemplarité des managers est cruciale pour instaurer une culture de sécurité psychologique. En effet, leurs comportements influencent directement ceux des équipes. Il existe une asymétrie hiérarchique (entre salariés et managers) qui pousse souvent les salariés à imiter leurs supérieurs, ce qui instaure des normes implicites sur ce qui est acceptable ou non.
Selon le concept de « boucle de vulnérabilité » développé par Daniel Coyle, lorsque les managers montrent leurs propres faiblesses, cela encourage les équipes à faire de même, générant ainsi un climat de confiance. L’écoute active, la reconnaissance, et des pratiques qui éradiquent la culture du blâme (quand on punit les gens qui portent des mauvaises nouvelles ou parlent des problèmes), voilà les leviers les plus puissants pour renforcer la sécurité.
Plus fondamentalement, les conditions de travail et les ressources disponibles sont essentielles pour le sentiment de sécurité des travailleurs, notamment dans les métiers éprouvants. Quand on écoute leurs difficultés, leurs problèmes et qu’on adapte l’organisation du travail pour leur faciliter la vie, on crée de la sécurité psychologique. Certains ont des trajets maison-bureau pénibles. D’autres ont un chien à la maison qu’ils voudraient pouvoir sortir plusieurs fois dans la journée. D’autres encore ont besoin de plus de flexibilité pour mieux jongler entre leurs tâches professionnelles et parentales. Quand l’exemple managérial met l’accent sur l’écoute des travailleurs et la prise en compte de leurs contraintes, il y a plus de sécurité !
Quand la sécurité psychologique devient un argument fallacieux
Certaines entreprises comme Amazon ou Ubisoft ont déclaré vouloir mettre fin au télétravail ou au travail hybride. Elles affirment que « c’est mieux pour la sécurité psychologique, la créativité et la productivité ». Mais dans la bouche de ces dirigeants qui veulent « sonner la fin de la récré », la sécurité psychologique devient un prétexte fallacieux pour rappeler les salariés au bureau.
Car, dire « si tu n’es pas content, tu prends la porte », c’est l’antithèse de la sécurité psychologique. Face à la menace de perdre leur travail, les salariés acceptent des niveaux d’insécurité psychologique considérables. En réalité, Amazon et Ubisoft veulent « dégraisser le mammouth » c’est-à-dire pousser à la démission des milliers de salariés. C’est le contexte le moins « secure » qui soit ! Non, le présentiel n’est pas synonyme de sécurité psychologique !
Pour aller plus loin sur le sujet de la sécurité psychologique, je vous invite à découvrir ma newsletter Laetitia@Work consacrée à ce thème :
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Qui nous sommes
Laetitia | Cofondatrice de la société Cadre Noir, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité. Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 17 ans. Après avoir vécu près de 10 ans à Londres puis à Munich, nous sommes revenus en France en août 2024. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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Bonjour Laetitia,
Merci pour ces réflexions intéressantes, en effet la sécurité psychologique a bon dos pour encourager le retour au bureau. A noter, le français utilise indifféremment Sécurité là où les anglo-saxons ont le choix entre Security et Safety. Safety ajoute une notion de sérénité et de confiance (safe place), là ou la sécurité parait bien réglementaire (HSE). Et en effet, on peut concevoir que la sécurité au travail est plus simple à gérer en présentiel, dans la mesure où le flou juridique actuel pour encadrer le distanciel n'incite pas les employeurs à la prise de risque. Pour moi, la sécurité psychologique, c'est tout simplement le droit à l'erreur. Ce serait la Nasa qui l'aurait mise en avant après s'être mordu les doigts de n'avoir pas su instaurer un climat de confiance suffisant pour que les salariés osent parler de problèmes internes (crash de Challenger).