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L'État entrepreneur
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L'État entrepreneur

🏛 Voici la version intégrale d’un entretien réalisé avec Mariana Mazzucato, professeure à University College London et auteure du livre L'État entrepreneur: Pour en finir avec l'opposition public privé, publié en anglais en 2013 mais traduit en français seulement cette année (Fayard, 2020).

Si vous le souhaitez, vous pouvez aussi retrouver la version originale de ce podcast ici ou écouter le podcast en VO diffusé dans cette newsletter 👆 Nous vous proposons aussi ci-dessous une note de lecture sur l’ouvrage de Mariana.

La politique industrielle n’a pas bonne presse. Elle a souvent été détournée pour soutenir des entreprises vouées à l’échec. Surtout, elle a été discréditée par des décennies de néolibéralisme. Pour les disciples de Friedrich Hayek (1899-1992) et Milton Friedman (1912-2006), l’intervention de l’État dans l’économie détruit toujours de la valeur. Tout au plus doit-il ménager des conditions propices à une saine concurrence entre les entreprises et corriger les imperfections de marché.

Mariana est partie en guerre il y a sept ans contre cette vision réductrice du rôle de l’Etat. Dans son livre, un best-seller mondial, elle montre que l’État a toujours joué un rôle déterminant dans les grandes vagues d’innovation. Un exemple qu’elle a popularisé est l’iPhone, dont la plupart des composants sont issus d’initiatives de l’État fédéral américain, notamment à finalité militaire.

Nous autres Français avons vite fait de prendre ce propos comme une validation de notre bon vieil interventionnisme. Mais en réalité, il n’y a pas grand-chose à voir entre la vision de Mariana et notre approche nationale de l’innovation.

Trop souvent, l’approche française est d’entrer par la technologie et par le Meccano administratif des instituts de recherche, des appels à projets et des pôles de compétitivité. Or, pour Mariana, l’État est à son meilleur non pas quand il se focalise sur une technologie particulière ou s’enlise dans la bureaucratie, mais quand il imprime une direction à l’innovation. Et la meilleure manière d’imposer cette direction est de définir des « missions », qui focalisent l’attention des innovateurs, du secteur public comme du privé, sur des « problèmes à régler ».

Pourquoi est-ce important ? D’abord, parce que régler un problème permet l’alignement d’acteurs issus de secteurs divers aux intérêts divergents. L’innovation se heurte toujours à des résistances. Mais s’il s’agit de remplir une mission, alors il est plus facile pour les innovateurs de triompher des obstacles et pour l’État de changer les règles, y compris contre de puissants intérêts en place.

Ensuite, parce qu’une mission permet de créer et de façonner le marché plutôt que de simplement corriger ses défaillances. Aujourd’hui, c’est parce que l’État n’impose pas de direction que les entreprises se replient sur des indicateurs financiers et court-termistes. Mais si le marché est lancé à l’assaut d’un problème à régler, alors la technologie trouve à s’appliquer, la concurrence est synonyme d’émulation, et la flexibilité débouche sur des innovations de rupture et la création massive d’emplois.

La Chine illustre la vision de Mariana. Vue de loin, elle semble être l’empire du « laisser-faire ». En réalité, le marché y est mis au service de missions gravées dans le marbre des plans quinquennaux du Parti communiste chinois – la lutte contre le changement climatique, le déploiement de nouvelles routes commerciales vers l’Afrique et l’Europe dans le cadre des Nouvelles routes de la Soie

Un autre exemple est la Silicon Valley. Cet extraordinaire écosystème d’innovation s’est développé à partir des années 1950 parce que l’université Stanford a capté les ressources du département de la défense en mettant ses laboratoires au service d’une mission critique : gagner la guerre froide !

La politique industrielle n’est pas obsolète. Mais pour la raviver, nos dirigeants doivent fixer à tous les acteurs, État et entreprises, l’objectif de résoudre nos problèmes les plus critiques. La France ne manque pas de missions à remplir : augmenter l’autonomie des personnes âgées, rendre les soins accessibles sur l’ensemble du territoire, faciliter l’accès au logement dans les grandes villes et, bien sûr, lutter contre la pandémie. Il est temps de mettre l’innovation à leur service.

Bonjour à tous, je suis Laetitia Vitaud. Je suis très heureuse d'accueillir Mariana Mazzucato. Bonjour, Mariana.

Bonjour à tous. 

Mariana, tu es professeur en économie (Innovation and Public Policy) à l'University College London, où tu es directrice fondatrice de l'IIPP (Institute for Innovation and Public Purpose). Tu es également l'auteure de L'État entrepreneur: Pour en finir avec l'opposition public privé (Fayard), et plus récemment, The Value of Everything: Making and Taking in the Global Economy.

Ton premier livre a enfin été traduit en français, et j'en suis très heureuse car, après avoir tant parlé et écrit sur ton travail dans mon pays d'origine, la France, je suis particulièrement ravie de pouvoir te poser quelques questions. Voici donc la première.

Dans ce podcast, nous posons généralement une première question sur la pandémie, car cette newletter a été lancée pendant la pandémie. Comment as-tu vécu cette année de pandémie étrange ? D'habitude, une grande partie de ton travail consiste à sillonner le monde. Et j'imagine que tu voyages généralement beaucoup pour parler de ton travail. En quoi cela change ta façon de vivre et de travailler ? As-tu commencé à faire du pain, à faire des webinaires, comment cela s'est passé ?

J'ai toujours fait du pain, donc cela n’est pas nouveau pour moi, mais sans doute que j’en fais encore plus qu’avant. J'ai découvert le levain, la fermentation, et la matrice avec laquelle il faut travailler. Je n’utilise pas de levure artificielle. Oui, j’ai beaucoup cuisiné avec mes enfants. J’ai quatre enfants. Pendant la plus grande partie de la pandémie, et surtout pendant le confinement, dont on connaît les conséquences économiques terribles, mais aussi les conséquences sur la santé des gens, moi j’ai eu la chance de passer du temps avec mes enfants. Nous avons fait nos promenades quotidiennes pendant l’heure autorisée. Chaque jour j’attendais avec impatience cette promenade quotidienne, à six, isolés des autres, dans le merveilleux parc qu’est Hampstead Heath à Londres.

Et oui, j’ai beaucoup moins voyagé. Et j'espère que cela continuera. Je pense que nous avons tous réalisé que nous n'avons pas besoin de voyager tout le temps pour avoir un impact dans le monde. J’ai fait beaucoup de réunions sur Zoom. C’était épuisant, surtout pour mon dos. C’est pourquoi j’ai essayé de faire mes trois ou quatre réunions Zoom debout.

C’est gratifiant de voir à quel point les gouvernements trouvent utile le type d'approche que nous préconisons à l’IIPP, l'institut que j'ai créé. C'est donc une période très riche pour faire avancer les débats sur la manière de relancer l’économie et de la reconstruire. 

Oui, tu sembles plus active que jamais pour faire avancer ces débats.

Oui, mais je pense qu'il est important aussi de faire une pause et d'écouter. C’est vraiment important dans un moment comme celui que nous vivons d'écouter les gens, parce que, bien sûr, le contexte est très, très différent selon la ville, la région, le pays, le niveau de développement, etc. 

C'est donc toujours un défi pour les universitaires de faire une pause, de se taire et d'écouter. [rires]

Oui, c'est un défi pour tout le monde, je pense. [rires]

Récemment, tu as écrit que tu penses que le covid-19 est aussi une occasion de faire différemment. C'était le titre d'un des articles que tu as publiés récemment : c'est l’occasion de transformer notre capitalisme. Peux-tu partager quelques-unes de tes réflexions à ce sujet ?

Chaque fois que l'on dit qu’il faudrait faire les choses autrement, la première question à se demander, c’est : qu'est-ce qui ne va pas dans la façon de faire actuelle ? C’est par là qu’il faut commencer. Nous avons un système financier très problématique où une grande partie de la richesse est absorbée par la finance, les assurances et l'immobilier. C'est un gros problème. Dans de nombreuses régions du monde, nous avons une culture d'entreprise ultra financiarisée et court-termiste. 

Quatre mille milliards de dollars ont été dépensés en rachats d'actions au cours des dix dernières années. Certains rachats d'actions en valent la peine, mais quatre mille milliards, c'est beaucoup. Et souvent, la réponse que les entreprises donnent pour expliquer pourquoi elles le font, c’est qu'il n'y a pas assez d'opportunités d'investissement. Et c'est fou de dire qu'il n'y a pas d'opportunités dans des domaines comme la santé et l'énergie. Or, les plus gros acheteurs se trouvent dans ces deux secteurs. Et puis, bien sûr, le changement climatique nous guette. Nous n’allons pas assez vite. Nous n’avons pas pris la mesure des changements nécessaires pour ne pas nous retrouver au point de non-retour contre lequel le rapport du GIEC nous a mis en garde. Il nous reste dix ans. Nous n'avançons pas du tout assez vite.

Je le dis souvent : nous avons un gros problème avec l'État. L'État vu comme un complément au marché, ça sera toujours trop peu, trop tard parce qu’il faudra toujours attendre qu'il y ait une défaillance du marché pour justifier une quelconque initiative politique. 

Voilà donc les grands problèmes selon moi. Il en existe d’autres, bien sûr. Mais ces problèmes fondamentaux dans la structure financière, le système financier, le système des entreprises, la façon dont l'État est organisé, et puis, bien sûr, cette crise climatique massive que nous avons qui dépasse toutes les autres crises, qu'elles soient sanitaires ou économiques.

Il faut absolument utiliser cette crise comme une opportunité pour s'attaquer à ces problèmes. Précisément parce que l'État fait son grand retour, comme à chaque grande crise. Rappelons nous qu'après la crise financière, l'État est également revenu en force après des années où on a voulu l’affaiblir. Le problème, c’est que cette période de reprise n'était pas structurée correctement. Nous avons alors renfloué les banques et les entreprises sans rien demander en échange, au lieu de reconstruire en mieux.

Cette fois-ci, nous ne pouvons pas nous permettre de refaire la même erreur, ne serait-ce que parce que tant de gens meurent. Il faudrait donc commencer par investir et renforcer les systèmes de santé mondiaux. Tout cet argent, les deux mille milliards de dollars investis dans l’économie aux États-Unis, deux mille milliards d'euros en Europe, si nous ne faisons pas en sorte, au minimum, que les résultats de ce type d'investissement ne renforcent pas nos systèmes de santé, ce sera un échec retentissant.

Et cela a un sens de parler des "systèmes de santé mondiaux". Si cette pandémie avait commencé dans un pays avec un système de santé plus faible que celui de la Chine, nous serions tous dans une situation pire que celle de la Chine. Mais de manière plus fine, je pense que nous devrions simplement nous assurer que chaque subvention, chaque type d'instrument de relance que nous utilisons soit bien pensé. J’aime beaucoup le mot "design". Il devrait être partout. 

Il faudrait concevoir les programmes de relance de manière à ce qu'ils s'imbriquent dans les institutions, fassent levier de l’engagement de tous les différents acteurs concernés, afin de construire réellement un capitalisme meilleur. 

En France, je pense que Macron a, d'une certaine manière, ouvert la voie en disant que nous ne sommes pas là uniquement pour renflouer les entreprises, mais aussi pour les transformer. Les conditions imposées aux compagnies aériennes et au secteur automobile n'étaient pas parfaites. Elles auraient certainement pu être plus ambitieuses, mais au moins, il y a eu des conditions imposées en matière de réduction des émissions de carbone dans le cadre du plan de sauvetage. Alors qu'ici, au Royaume-Uni, nous avons accordé un renflouement de six cents millions de livres à EasyJet sans aucune contrepartie. 

Je pense donc qu'il est important de reconnaître qu'il y a une certaine hétérogénéité, des différences dans la façon dont nous pouvons faire les choses. Nous devrions apprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Et je pense que nous n'avons pas assez appris de la crise financière de 2008 que ce qui ne fonctionne pas, c’est un sauvetage sans condition. On a fini par nationaliser les risques et privatiser les gains. On n’a pas construit une économie plus inclusive et durable.

Si les gens veulent des idées sur la façon de concevoir la reprise, de meilleurs programmes de relance, tu as rédigé tout récemment une petite utopie futuriste intitulée "Nous sommes en 2023", avec des idées très claires. Tout le monde devrait la lire.

Cela commence par un gagnant très clair des élections américaines. Oui, je veux dire qu'il y a de l'espoir. Mais je veux dire qu’il nous faudrait apprendre la leçon de la dernière fois.

Passons à ton premier livre. Ce livre, L'État entrepreneurial, a été publié en 2013. C'était donc il y a sept ans. Et il y a sept ans, je pense que ton message sur l'importance de l'État semblait très radical dans le contexte de l'époque. Ce n'est plus le cas.Beaucoup de choses ont changé depuis 2013. As-tu le sentiment que ton message n'est pas reçu de la même manière qu'il y a sept ans ? Et penses-tu en particulier que cette pandémie a rendu les gens encore plus réceptifs à ce message ? Il semble que tout le monde attend tout de l'État maintenant.

Oui, même si le but du livre n'est pas de dire qu’il faut tout attendre de l’État. Il s'agit d'apprendre ce que l'État peut faire lorsqu'il est bien structuré, lorsqu'il est ambitieux, lorsqu'il aide à réorienter une économie et à encourager autant d'initiatives que possible. Malheureusement, de nombreux pays ont des États très actifs et un niveau élevé de dépenses publiques, mais si l'État n'est pas structuré d'une manière qui soit également motivée par la notion d'utilité publique, d'intérêt commun ou de valeur publique, ça ne fait pas avancer les choses. La valeur publique, l’intérêt commun, ce sont des concepts sur lesquels notre institut veut faire avancer la réflexion.

C’est tout cela qu’implique l'État entrepreneurial. C’est un État auquel il faut rendre des comptes. C’est un État qui crée de la valeur.  Arrêtons de prétendre que la création de richesse, c’est uniquement le fait d'une bande de bricoleurs de garage de la Silicon Valley ou d'ailleurs.

Tout ce qui nous a permis d'obtenir ces produits intelligents a été financé par l'État : Internet, le GPS, le touchscreen, la reconnaissance vocale, tout cela a été financé avec de l'argent public, dans le cadre d'organisations publiques du type DARPA, qui avaient une culture particulière, qui avaient un type particulier de mission. Ces organisations ne parlent pas d’elles-mêmes en disant qu’elles se contente de corriger les “défaillances du marché”. Elles sont bien plus ambitieuses que cela. 

Il s’agit d’institutions qui prenaient des risques, des risques orientés vers des objectifs publics. L’internet est né de là. Il s’agissait de résoudre un problème, faire communiquer les satellites entre eux. C'est la même chose avec le GPS. Le problème était très spécifique, c’était un problème que la marine devait résoudre. Le GPS a été la solution. La vraie question pour moi, c’est donc de savoir quels sont les problèmes actuels.

D'autres problèmes de notre époque peuvent jouer ce rôle. Les 17 objectifs de développement durable peuvent favoriser l'innovation de demain. Une partie de mon livre visait donc à mettre les choses au clair sur le rôle réel que l'État a joué au-delà du simple financement de la science fondamentale. Et la leçon à en tirer, c’est que dans des pays comme les États-Unis, même s'ils prétendent être une société où seul compte le marché, l'État est très actif et présent tout au long de la chaîne de l'innovation.

Ainsi, la recherche fondamentale, la recherche appliquée, le financement des premières étapes pour les quelques entreprises qui innovent, la politique d'achats publics jouent un rôle à tous les niveaux de la chaîne. Il y a aussi en aval les politiques axées sur la demande dont parle l’économiste Carlota Perez.  Donc, il y a les deux : l'offre pousse, la demande tire.

Qu'est-ce que cela signifie pour les capacités dynamiques attendues du secteur public ? Il n'y aurait pas eu de Startup Nation en Israël sans Yozma, le fonds public de capital-risque, qui a fourni ce financement patient à long terme, que beaucoup de capital-risqueurs privés n'ont pas voulu fournir simplement parce qu'ils sont trop obsédés par la réalisation de leur plus-value. 

C'est la même chose aux États-Unis, le secteur privé du capital-risque, bien sûr, c'est important, mais il serait insensé de prétendre qu'il a vraiment été présent au stade très précoce de nombreuses révolutions, qui ont historiquement nécessité des investissements publics pour assumer l'incertitude, le risque et l’ampleur immense du capital nécessaire. Ce n’est pas le secteur du capital-risque qui fait cela.

Ce dernier a tendance à venir après. Ainsi, sans les 40 milliards par an que les agences nationales de la santé ont dépensés depuis des décennies, le secteur des biotechnologies n'aurait pas pu bénéficier de l'apport du secteur du capital-risque. Et quand on parle aux investisseurs, ils savent tout cela parfaitement, ils l’avoueront même en privé. Ils reconnaîtront qu’il n’y aurait pas eu Genentech (dans laquelle Kleiner Perkins a investi) sans ces investissements publics en phase de démarrage.

Le problème, c’est qu’on ne raconte pas cette histoire. Il n’y a pas de récit honnête concernant les investissements publics. Du coup, on ne peut pas vraiment en tirer des leçons. Il existe toujours le mythe populaire selon lequel le capital-risque est une sorte de capital-investissement et que l'État n'est là que pour remédier aux dysfonctionnements du marché, pour faire une bonne réglementation, et pour permettre aux entrepreneurs de faire leur travail. 

Et donc, nous ne tirons pas les leçons de ce type d'écosystème beaucoup plus complexe qui a eu besoin des acteurs publics et privés. Sans les acteurs publics, on n’aurait pas eu la révolution des nanotechnologies, la révolution biotechnologique, les technologies vertes...

À quoi devrait ressembler à l’avenir un écosystème plus symbiotique dans les technologies vertes si nous tirons les leçons des investissements publics qui précèdent les investissements du secteur privé ? Mais il ne suffit pas d'avoir des investissements publics dans ces domaines. Ce qu'il faut aussi, c'est avoir une bonne compréhension des enjeux, de l’histoire. Il faut aussi qu’il y ait un partage collectif des gains économiques. Pourquoi l'État devrait-il prendre tous les risques et voir tous les gains, toutes les récompenses aller toujours aux acteurs privés ?  

Toutes les récompenses sont devenues privées. Bien sûr, nous tirons tous profit du fait de pouvoir faire des recherches sur Google, etc. Mais tous les citoyens devraient pouvoir bénéficier de la richesse accaparée par Google (elle-même le fruit des investissements publics mentionnés plus haut). Or, l’économie en Californie est profondément inégalitaire. Les gains n’y ont pas été partagés. Je ne sais pas si tu es allée à San Francisco récemment, mais c'est vraiment barbare, le niveau des inégalités qu’on y voit. Dans la rue, quand on marche dans les rues de San Francisco, le niveau de souffrance qu’on observe est hallucinant. Pour un Européen, c’est du jamais vu. La Californie, c'est une région du monde qui a bénéficié d'investissements publics, et pourtant on n’a jamais réussi à faire en sorte que le public, c'est-à-dire les citoyens, vivent aussi bien qu’en Europe.

L'éducation publique, les transports publics et la santé publique aux États-Unis sont en souffrance. Cela pourrait parfaitement être corrigé si on s’en faisait une priorité. Il serait utile d’adopter une grille de lecture qui fasse de la redistribution une priorité. Nous avons besoin d'une fiscalité progressive pour redistribuer la richesse. Mais nous avons aussi besoin de mieux comprendre comment le public et le privé interagissent, que ce soit dans l'économie numérique, l'économie de la santé, l'économie verte. Le public et le privé sont intégrés, entretiennent des relations intimes, échangent continûment. Pour éviter le gâchis ex post, il faut mettre en place des structures ex ante concernant ces relations entre privé et public. 

Cela concerne la manière dont nous régissons les droits de propriété intellectuelle. Cela concerne aussi les contreparties que nous exigeons en échange des investissements publics. Et tout cela, c'est vraiment une question de redistribution. C'est une grande leçon pour les États-Unis et pour les autres pays aussi. 

Ils ont bien fait fonctionner la machine à investir. Et c'est ce qui a fait la grandeur de l'Amérique, pour reprendre les mots de Trump, mais il n'a pas forcément compris cette partie-là. Par exemple, ce qui a réellement fait la grandeur de l'Amérique, c'est en partie ce qu'il a contribué à détruire. 

Il s’agit vraiment de s'assurer que nous avons la pleine maîtrise de ces processus qui profitent réellement aux citoyens et au bien commun, et pas seulement au profit privé.

Tu as mentionné l'importance du récit, essentiellement la compréhension du rôle de l'État entrepreneur dans cette création de richesse et de récompenses. Mais je pense que depuis la publication de ton livre, ce récit est mieux partagé. Davantage de gens le connaissent et en ont entendu parler. On a entendu parler de la Startup Nation, de l’importance du programme Yozma et de la DARPA, et d'autres choses de ce genre. Mais le risque maintenant, c’est qu’on veuille reproduire exactement ce qui a fait le succès de l'État entrepreneurial à un certain moment. Le risque c’est qu’on reproduise les solutions d’hier pour répondre aux problèmes d’aujourd’hui. 

Donc, comme tu l’as dit, prendre des risques pour atteindre un objectif d’intérêt public, quelles formes cela prendrait-il aujourd'hui. En quoi l'État entrepreneurial actuel est-il différent de ce qu'il était dans les années 60 et 70 aux États-Unis ?

Oui, mais je pense qu’on exagère parfois la différence. Ce qui est vraiment différent, c'est la nature du problème, n'est-ce pas ? Le genre d'investissements des années 60 nous ont amenés sur la lune et tout le secteur du logiciel était une retombée de ce projet. Le grand défi auquel ils étaient confrontés était différent, mais ce qui a vraiment ouvert la voie à ces investissements, c’est la guerre froide et Spoutnik.

Aujourd'hui, le grand défi, grave et urgent, c’est le changement climatique. C’est aussi, comme la pandémie l’a montré, le renforcement de nos systèmes de santé. Mais le fait est que ces problèmes-là sont beaucoup plus difficiles que d’envoyer un homme sur la lune. Ainsi, Richard Nelson, un de mes “collègues” économistes, un merveilleux universitaire de l'université de Columbia, a écrit un livre dans les années 70 intitulé "La lune et le ghetto" (The Moon and the Ghetto), qui faisait déjà allusion à ce problème. 

Comment se fait-il que nous autres humains ayons réussi à faire l'aller-retour entre la lune et le ghetto, mais que nous ayons encore des ghettos ? L'inégalité, c’est beaucoup, beaucoup plus difficile. Ce n'est pas un problème technocratique. Cela requiert des changements organisationnel, social, réglementaire, comportemental, et toutes sortes d'autres choses qui rendent ce problème plus complexe. Mais cela ne veut pas dire que c'est impossible.

Dans un contexte de guerre, les problèmes sont vus comme urgents. Il s’agit de la sécurité nationale. Personne ne penserait à dire, “bon désolé, nous n'avons pas le budget, nous n'irons pas en Irak”. On n’entend pas un pays dire “nous n'allons pas en guerre parce que nous n'avons pas l'argent”. On trouve toujours de l'argent pour faire la guerre. 

Attendez une seconde, pourquoi trouve-t-on de l'argent sorti de nulle part pour faire la guerre ? Mais quand on parle d'éducation ou de santé publique, là il n’y a pas d’argent parce qu’il faudrait maintenir le déficit à un niveau faible. On devra se contenter de bricoler un peu à la marge. Pourquoi ?

La première chose à faire, c’est donc de dire : “Écoutez, la leçon à tirer, c’est que nous devons traiter ces questions comme urgentes et, d'une certaine manière, comme un problème de sécurité. Le changement climatique, c’est un problème de sécurité. L'inégalité, c’est un problème de sécurité.”

Mais il faut aussi en parler de manière inspirante. Présenter ces choses comme l’éducation et la santé comme un “problème de sécurité”, c’est nourrir la peur dans l'esprit des gens. Je ne pense pas que ça soit forcément la bonne manière de capter l’imagination. 

Pourtant il nous faut à la fois voir l'urgence, et aussi nourrir les imaginaires, être ambitieux sur la façon dont l'État-providence peut être réinventé, sur la façon dont nous voulons vivre ensemble dans une ville ou une région. Par exemple, une ville neutre en carbone exige de réimaginer notre façon de vivre, de marcher, faire du vélo, nous déplacer, les matériaux à utiliser, les espaces publics à construire. C’est intéressant, le niveau d’imagination qu’il faut pour tout cela. 

Aller sur la Lune, ça a vraiment inspiré les gens. Cela a donné envie aux enfants d'étudier les sciences. Cela a inspiré des réflexions philosophiques sur l'humanité dans son ensemble, prise comme un collectif. 

À la différence de ces projets de la guerre froide qui étaient décidés au gouvernement, les problèmes complexes d'aujourd'hui ont vraiment besoin de différentes voix à la table. C'est pourquoi, dans le rapport que j'ai rédigé pour la Commission européenne, qui est ensuite devenu un instrument juridique en Europe, j’ai proposé des pistes de réflexion sur le concept de mission pour le programme Horizon, qui est la façon dont l'Europe organise ses dépenses en matière d'innovation. Un des chapitres du rapport s'intitule "Citizen Engagement", pour co-créer les missions du futur autour du climat, des systèmes de santé, etc.

Cela signifie qu’il faut être ouvert, se rendre plus vulnérable d'une certaine manière en tant que décideur politique pour être vraiment à l'écoute. C'est ce que j'ai dit au début. Écoutez. Parlez aux étudiants, aux écologistes, aux syndicats. Ce type de participation et de coopération est nécessaire, évidemment pas pour certaines missions qui restent principalement technologiques, mais certainement pour les missions sociétales. Or c'est difficile d’écouter. Mon expérience est qu'il n'existe pas vraiment de formation, de master en administration publique qui aide à réfléchir à la manière de bien co-créer.

Il faudrait, par exemple, avoir les travailleurs à la table des négociations pour nous aider à imaginer ce qu'est une transition verte.

Ce sera un processus complexe. Souvent, c’est un processus mal compris aussi. Renforcer le système de santé, cela n’est pas la même chose qu’envoyer une fusée sur la Lune. Pour avoir un “moonshot” de la santé, sur les tests, le traçage ou les vaccins (tout ce qui se rapporte à la pandémie), il faut un système de santé solide qui interagit avec ce moonshot

Le DARPA, par exemple, interagissait aussi avec les appels d’offres publics. Il s'agit de s'assurer qu’on ne se contente pas de mettre en place une agence isolée, en faisant appel à une bande de geeks pour aider le gouvernement à être super intelligent dans différents domaines, sans réfléchir réellement aux méthodes de travail plus horizontales. Il faudrait que les marchés publics soient vraiment conçus pour regrouper autant de solutions “bottom up” que possible pour résoudre les grands problèmes publics. 

Les marchés publics, ce n'est pas la chose la plus sexy. Mais c’est essentiel. Je veux dire que si vous pouvez concevoir au quotidien un écosystème pour l'innovation, vous venez d'augmenter massivement votre budget d'innovation. Au Royaume-Uni, par exemple, notre budget d'innovation pour l'ensemble du gouvernement est de 10 milliards de livres. Le seul budget des marchés publics du ministère des transports s'élève à 40 milliards.

Il faut donc multiplier ce chiffre par les différents ministères. Vous avez tout à coup un potentiel d'innovation dynamique ascendante grâce aux achats du gouvernement. Mais dans la plupart des pays, les achats publics sont effectués de manière statique, linéaire et ennuyeuse, ce qui ne stimule pas du tout l'innovation. 

Il faut donc investir dans le secteur public lui-même. Et c'est là le grand problème auquel nous sommes confrontés : on vit dans l’illusion que l’Etat a pour seul rôle de compenser les petits défauts du marché. Le résultat, c’est une idéologie qui n’admet pas que l'État puisse créer de la valeur. C’est pour cela qe nous n'investissons pas dans les structures étatiques pour les transformer en organisations apprenantes et en organisations dynamiques, créatives et capables. Au lieu de cela, il y a beaucoup d'externalisation vers des sociétés de conseil et d’autres prestataires.

Cela a également été mis en lumière par la pandémie et le Brexit, cette dépendance excessive du gouvernement britannique à l'égard des sociétés de conseil. Pourtant, elle n’est en rien inévitable. C'est seulement le résultat d'un manque de considération pour l'État. À force on finit par en devenir un peu stupide. Je ne dis pas que l'État britannique est stupide par nature. Je veux dire que si vous n'investissez pas dans votre propre cerveau, vous ne serez pas très brillant et vous perdrez ces compétences et cette confiance.

Le problème n'est donc ni public ni privé. Il s’agit d'un partenariat dynamique. Mais si vous n'investissez pas dans vos propres capacités, vous ne saurez probablement même pas comment faire pour faire fonctionner ce partenariat.

Oui, exactement. En gros, ce à quoi vous faites allusion, c'est qu'il faut des changements organisationnels complets pour que l'État entrepreneurial puisse tirer parti de cette forme d'intelligence collective pour la transition verte. De quel type de changement organisationnel avons-nous donc besoin ?Avons-nous besoin de réapprendre les choses que nous avons perdues à cause de toute cette externalisation ? Quelles seraient les premières étapes ?

C'est la raison pour laquelle j'ai créé un institut dédié à cette question à l'University College London, car je crois sincèrement que l'une des toutes premières étapes consiste à repenser les programmes universitaires. Prenons le mot “bureaucratie”, il n'y a aucune raison que ce soit un mot négatif. On est maintenant dans l’idée que l'adjectif “bureaucratique” est forcément un mot négatif. Mais si nous avions assez de bureaucraties compétentes, ce ne serait pas un mot négatif.

La vraie question, c’est de savoir quel genre de bureaucratie vous avez. Est-elle lente, pleine d’inerties, incapable de s'adapter et d'être flexible ? Eh bien, c'est évidemment une bureaucratie problématique, mais la bureaucratie elle-même n'est pas le problème. 

Je pense qu’il faut repenser l’enseignement d’abord. Le changement doit être soutenu par un nouveau mode de pensée qui devra également être intégré, par exemple, dans la gestion des entreprises, où l’on pourra repenser la structure organisationnelle.

Les entreprises ont appris à utiliser la stratégie, l’économie comportementale, les sciences de gestion… pour grandir. Souvent, elles savent que l’organisation est importante. La première chose à admettre, c’est que la structure organisationnelle est importante pour tout type de secteur, public et privé, qu'elle est importante pour la création de valeur. En dévalorisant le rôle du secteur public, nous n'avons jusqu’ici pas abordé ces questions vraiment importantes de comportement, de stratégie, etc dans le secteur public.

Et cela doit être étayé par l’enseignement et la recherche. C’est la mission que nous nous sommes donnée à l’IIPP où nous développons un programme de recherche très solide et des nouveaux concepts autour de la valeur publique, de l'utilité publique, des missions, etc. C’est d’un changement profond que nous avons besoin. Il faut arrêter de séparer le “top down” et le “bottom up”, car en réalité, les deux choses devraient se produire en même temps.

Dans quel genre de société voulons-nous vivre ? Pour une transition verte, par exemple, il faudra à la fois des nouvelles règles du jeu, fixées en haut par l’Etat, des politiques concertées, et toutes les idées et l’énergie de la base. 

En matière de fiscalité, il faut récompenser le long terme et non le court terme. Il faudrait taxer les matériaux davantage que la main-d'œuvre. Mais il faut aussi certains types d'investissements qui vont vraiment permettre à certains types d'entreprises de disposer d'assez de temps pour explorer et expérimenter. Donc, si nous n'avons pas de financement de long terme dans le secteur privé, alors cela pourrait être une autre chose que le gouvernement devra trouver, pour vraiment donner aux entreprises qui veulent innover le temps dont elles auront besoin pour faire ce genre d'apprentissage, dans ces toutes premières étapes de l'expérimentation.

Il n'y a souvent pas assez de patience. Pourtant si nous voulons une société plus inclusive, une société plus durable, alors il faudra parler de l’orientation à donner à la croissance. Et nous n’avons pas les mots pour le faire. 

Mais il faut aussi que les processus d’innovation doivent aussi être ascendants (bottom up) car nous savons après l'expérience soviétique que cela ne fonctionne pas si le processus est descendant et rigide et s'il n'y a pas un système dynamique d'innovation dans l'ensemble de l'économie. C'est donc là que le point que j'ai mentionné plus tôt est essentiel : nous devons avoir la patience de revoir en profondeur les subventions, les prêts, les marchés publics, les systèmes de prix pour encourager tout ce qui vient de la base.

Quand je parle de “bottom up”, je parle d’une innovation par le plus grand nombre possible d'acteurs différents, dont beaucoup échoueront certainement. Mais cette volonté d'essayer et de faire des erreurs, d’échouer et d'expérimenter, doit être appréhendée dans la manière d’encourager l'innovation des différents acteurs de l'économie. Mais elle doit être au service de l'objectif public, comme devenir une ville neutre en carbone, réduire les attaques à l’arme blanche à Londres… nous avons maintenant un énorme problème de couteau.

Peut-être parce qu'il n'y a pas d'armes à feu. C'est peut-être la façon la plus positive de voir les choses.

Eh bien, justement, à ce sujet, Donald Trump a eu un échange avec un médecin qui est à la tête du Royal Hospital, dans l'Est de Londres, qui est devenu l'hôpital de traumatologie de Londres. Ce médecin a écrit une lettre à un des journaux locaux disant que c’était obscène et qu’il n’avait jamais vu autant de souffrance qu’aujourd'hui à Londres. Et Trump a eu accès à cet article et a dit : “Oh, donnez-leur juste des armes à feu et ils arrêteront de se poignarder les uns les autres.”

Les attaques à l’arme blanche à Londres sont en grande partie le produit de l'inégalité et de l'austérité auxquelles le pays est confronté depuis la crise financière, après laquelle nous avons vraiment coupé dans les dépenses publiques – à tort. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai écrit L'État entrepreneurial, car j'ai été témoin de cette austérité, qui a souvent été faite au nom de la compétitivité et de l'innovation. Mais l'austérité signifie en réalité une réduction massive du financement de toutes sortes de services publics, dont dépendent de très nombreux jeunes, des personnes vulnérables et celles qui ont des problèmes de santé mentale.

Beaucoup de victimes et de coupables ont déjà de graves problèmes de santé mentale ou vivent dans des conditions très difficiles et ne sont tout simplement pas pris en charge. Et donc, si l’on considère quelque chose d'aussi concret que les attaques à l’arme blanche, il est facile de transformer cela en une mission : zéro attaque à l’arme blanche par des adolescents londoniens. Mais cela va nécessiter des investissements dans toutes sortes de domaines différents. Cela ne peut pas être considéré uniquement comme un problème pour les services sociaux. Il faut au contraire encourager l'innovation intersectorielle, mais avec des instruments qui produisent une expérimentation ascendante, mais avec un objectif public vraiment clair : zéro attaque à l’arme blanche. Il n’est pas tolérable que des jeunes de 13, 14, 15 ans, principalement des garçons, meurent parce qu'ils ont été poignardés à mort dans l'une des villes riches, industrialisées et les plus avancées du monde.

Et il n'y a aucune raison pour que l'objectif ne soit pas de zéro, comme c’est le cas, par exemple, pour retirer le plastique de l'océan. Nous n'y parviendrons pas en disant simplement : “Nous avons besoin que nos océans soient propres”. Il faut un objectif très clair et ensuite utiliser la politique d'innovation, la politique industrielle, la politique de développement, les stratégies d'approvisionnement pour y parvenir. Mais sans un objectif clair, cela n'arrivera pas. Et donc cette combinaison d’une approche par le haut et d’une approche par le bas, je pense, encore une fois, que c’est une chose très, très importante à faire.

Et puis, bien sûr, nous avons besoin d’organismes publics, comme nous le disions auparavant, mais ce ne seront pas toutes des organisations de type DARPA. Il faut aussi un ministère de la santé qui redéfinisse ce que nous entendons par santé. De la même manière que la BBC a redéfini la radiodiffusion publique en sortant de la zone de sécurité – “la radiodiffusion publique ne fait que réparer une défaillance du marché de ce que la radiodiffusion privée ne fait pas”. La BBC s'est penchée sur des domaines vraiment intéressants comme les feuilletons et les talk-shows, et pas seulement sur les documentaires et les informations de haute qualité, ce que les radiodiffuseurs publics justifient généralement comme un investissement public. Et ce faisant, elle a redéfini le feuilleton.

Elle a aussi redéfini le talk show. La BBC a produit EastEnders, un feuilleton sur la classe ouvrière conçu par opposition à Dynasty ou Dallas – exactement comme on concevait les feuilletons dans le passé. Et la BBC, en étant ambitieuse et en ayant en interne une discussion de longue date sur la valeur publique, a fini par créer de nouveaux marchés, en changeant son approche et en jouant un rôle d’entraînement par rapport aux investissements du secteur privé.

Les entreprises, au passage, profitent de cet engagement du secteur public. Les gens me disent “Oh, vous ne faites que parler de l'État. Et le secteur privé ?” Mais l'État, en étant plus entrepreneurial, en étant focalisé sur des objectifs stratégiques et en fournissant ce genre de financement à la fois patient et ambitieux, profitera davantage au secteur privé parce qu'il y créera pour lui de nouvelles opportunités d'investissement. Le secteur privé investit lorsqu'il voit une opportunité et les pouvoirs publics doivent avoir pour objectif de créer ces opportunités.

L’objectif doit être que les opportunités de croissance offertes au secteur privé soient non seulement plus claires mais aussi plus passionnantes. Et cela nécessite, pour des organisations comme la BBC, la DARPA ou le ministère de la santé, d'être vraiment clair sur le rôle de l'État. Il leur faut résister à cette façon ennuyeuse de parler de l'État comme s'il s'agissait au mieux de réguler, d'administrer et de corriger les défaillances du marché.

C’est intéressant que tu donnes l’exemple de la BBC, car la BBC est maintenant en danger avec ce qui se passe au Royaume-Uni. As-tu d’autres exemples contemporains d’administrations susceptibles d’inspirer les différents pays ?

La BBC est particulièrement intéressante parce qu'elle a explicitement parlé de ces questions en interne, en particulier du concept de valeur publique. Nous venons d’ailleurs d'écrire pour la BBC un nouveau rapport, qui devrait être publié prochainement. J'ai beaucoup appris en discutant avec la BBC de ces questions. Il ne s’agit pas seulement de déterminer ce qu’est la valeur publique. Il s’agit aussi, pour la BBC, de décider elle-même ce qu'elle doit faire, ce qu'elle ne doit pas faire, et comment elle rend des comptes au gouvernement britannique.

Peu d’organisations ont conduit une réflexion aussi explicite autour du concept de valeur publique. Mais il y a des organisations qui y sont parvenues, même si elles ne l'ont pas nécessairement formulé de cette façon. Et c'est pourquoi, avec l’IIPP, nous avons en fait mis en place un réseau d'innovation axé sur l’approche par mission. Cela s'est en fait basé sur un travail que j'ai fait avant de créer l'institut. Mais il s'agissait de réunir les DARPA, les BBC, les banques publiques, les agences numériques, certaines administrations municipales pour qu'elles partagent leur expérience de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.

Lorsque vous sortez du périmètre consensuel de la correction des imperfections de marché, à quoi ressemble la co-formation et la co-création de nouveaux marchés ? Que signifie-t-elle pour la conception des instruments de politiques publiques, mais aussi pour les relations entre le public et le privé ? Comment restaurer la confiance dans ces relations ? Quelle complémentarité entre les investissements des uns et des autres ? Comment rendre des comptes au gouvernement ?

Et grâce à cela, j’apprends beaucoup de choses. Au Danemark, par exemple, il  y a cette organisation vraiment intéressante appelée Mind Lab, une organisation publique au sein du service public, qui a pour but d'apporter de nouvelles innovations au secteur public sans avoir à s'appuyer sur un groupe de réflexion ou sur un cabinet de conseil comme McKinsey. Il s'agissait donc d'un effort de financement et d'une réflexion en continu, à l'intérieur de l'organisation de l'État, sur la manière dont l'État lui-même pouvait innover. Car nous attendons parfois de l'État qu'il alimente l'innovation à l'extérieur, qu'il aide les PME, mais pas nécessairement qu'il alimente sa propre capacité d'innovation pour rester flexible et adaptable.

Sitra, également en Finlande, est une agence d'innovation qui a fait un travail important de cartographie mondiale des exemples comme celui-ci. Elle a d'ailleurs rédigé un rapport, il y a dix ans, qui examine précisément ce genre d'expériences de type “laboratoire de l'esprit” au niveau mondial et ce que cela signifierait pour la Finlande elle-même d'avoir une agence de l'innovation qui ne pense pas seulement aux start-ups et à la technologie, mais aussi à la manière de procéder aux achats de manière vraiment dynamique. Et le CORFO au Chili.

Je pense donc que les organisations de ce type ne manquent pas. Je pense que le problème est qu'elles sont restées cloisonnées. Elles n'ont pas été au centre de notre réflexion sur la croissance économique. C'est pourquoi, par exemple, j'ai commencé à refuser de parler d'innovation à un gouvernement, à moins qu'il n'y ait quelqu'un du ministère des finances dans la salle.

Les leçons que j'ai tirées des services numériques gouvernementaux du GDS ici au Royaume-Uni à Sitra en Finlande, à Mind Lab au Danemark, à Yozma en Israël, à la DARPA aux États-Unis, c’est qu’il faut poser une question simple : quelle direction pouvons-nous donner à l'économie ? Qu'est-ce que cela signifie de focaliser l'innovation sur les missions d’intérêt général et sur la croissance économique ? Si nous ne l'amenons pas au centre de la croissance économique, elle n'aura pas l'effet que nous souhaitons.

C'est pourquoi je pense qu'il est intéressant que certains pays, dont la Chine, lorsqu'ils ont eu de grandes transitions à encourager, étant donné le problème de pollution massive qu'a connu la Chine, par exemple, ils ont dû placer l'écologisation de leur économie au centre de leur stratégie de croissance.

Et c'est ce qu'ils ont fait.

Et ils l'ont fait, absolument. Le Danemark, d'ailleurs, tire parti de cette situation. Le tout petit Danemark tire des leçons très intéressantes de ses stratégies de neutralité carbone à Copenhague et permet à sa communauté d’entrepreneurs de disposer d'un marché pour amorcer leur activité. Du coup, beaucoup de startups danoises sont aujourd'hui parmi les principaux contributeurs à la politique verte chinoise en matière de solutions numériques de haute technologie pour une économie verte.

Il y a aussi le Brésil, et je dois dire, oui, il y a toute cette controverse autour du gouvernement Lula, etc. Mais ce qui était vraiment intéressant avec Lula et la présidente Dilma Roussef qui lui a succédé au Brésil, c'est qu'ils ont vraiment porté l'objectif d'une croissance inclusive et d'une croissance basée sur l'innovation au cœur du gouvernement.

Ils ont donc dû modifier, par exemple, le mode de fonctionnement de la banque publique. Je me souviens que lorsque je conseillais Dilma, les fabricants de génériques de l'industrie pharmaceutique brésilienne avaient besoin d'une aide des pouvoirs publics, car sinon ils risquaient d’être tous dévorés par les grands conglomérats pharmaceutiques mondiaux. Et la banque publique, avec cette idée de croissance inclusive, avait imposé l’idée qu’elle n’était pas là uniquement pour investir dans de nouveaux domaines, mais aussi pour améliorer la vie des gens.

Par exemple, ils ont demandé aux fabricants de médicaments génériques pourquoi ils produisaient des pilules que les gens devaient prendre quatre fois par jour ? Si vous vivez dans une favela au Brésil, votre vie est déjà assez compliquée comme ça. Vous n'allez pas vous souvenir de prendre quatre pilules par jour ; peut-on mettre au point un traitement qui suppose de ne prendre qu’une pilule par jour ?

De cette façon, l'État a présenté une image différente. Il n’a pas seulement dit qu’il était là pour empêcher les entreprises locales d’être rachetées par des géants de l’industrie pharmaceutique. Il a aussi exigé que ces entreprises changent leur façon de faire de façon à améliorer la vie des individus.

Exactement, cela m’a d’ailleurs rappelé ce que tu as écrit au sujet des vaccins dans le contexte de la pandémie. Est-ce bien ce que tu avais à l'esprit ?

Oui, exactement. L’important, c’est cette idée de faire la course –  de mettre au point ce vaccin le plus vite possible. Le problème, c’est que si l’on court pour attraper un bus, on risque de tomber et de se faire écraser par une voiture. Au passage, ça m’est arrivé récemment : j’ai trébuché en voulant attraper un bus, et j’ai failli avoir un accident grave. Collectivement, nous devons aussi faire attention à ne pas trébucher.

C'est pourquoi l'Organisation mondiale de la santé a été très claire : si nous faisons la course pour le vaccin, assurons-nous de nous rappeler quel type de vaccin va aider les gens. Il devra être universellement accessible et donc fondamentalement gratuit pour que tout le monde puisse être vacciné. Sinon, cela ne fonctionnera tout simplement pas. Cela signifie que nous allons devoir non seulement structurer le système de fixation des prix de manière à ce qu'il fonctionne, mais aussi régir les droits de propriété intellectuelle de façon adaptée.

Tu as utilisé le concept d’“intelligence collective”, et c’est précisément le terme employé par l’OMS. Ils disent que nous devons veiller à ce que les brevets ne soient pas abusés en cours de route, comme c'est souvent le cas dans ce secteur, où il y a trop de brevets. Les brevets ne devraient pas être aussi en amont qu'ils le sont, au point d’entraver la recherche fondamentale. Souvent, les brevets sont trop larges, utilisés uniquement pour des raisons stratégiques, trop protecteurs et donc difficiles à concéder sous licence. Nous devons structurer ces brevets de manière à ce qu'ils ne bloquent pas l'innovation.

L’OMS demande même à ce qu’on mette en place un un pool de brevets entre les différents pays pour vraiment nourrir cette intelligence collective.

Est-ce que cela se produit ?

L'Inde et l'Afrique du Sud font pression en ce sens, de manière très active. Mais l'Organisation mondiale de la santé n'est pas en mesure de dicter une politique. Elle peut simplement faire des recommandations. Mais c’est une question fondamentale que nous nous posons tous du fait de la pandémie.

En particulier, nous prenons conscience du fait que le système de santé est l'un des plus dysfonctionnels en termes de relations public-privé. Pour en revenir aux 40 milliards de dollars par an dépensés les agences de soutien à la recherche médicale aux Etats-Unis, les prix des médicaments ne reflètent pas cette réalité, pas plus que la gouvernance des droits de propriété intellectuelle. Ainsi, le fait que le laboratoire Gilead vende le médicament Remdesivir à plus de 3 000 dollars la dose ne reflète pas du tout les 70,5 millions de dollars qui ont été investis par les contribuables américains.

Beaucoup d’entreprises qui, comme Pfizer, rachètent massivement leurs actions et génèrent au passage d’énormes plus-values pour leurs actionnaires reçoivent par ailleurs d'énormes subventions publiques. Il devrait donc y avoir, même en dehors des périodes de pandémie, de la conditionnalité. D'accord pour réaliser d’énormes investissements publics si cela permet de commercialiser des médicaments efficaces, mais assurons-nous que les entreprises qui en bénéficient se soumettent à certaines conditions.

Nous avons cela, d'ailleurs, dans le US CARE Act, qui est la loi américaine de soutien à l’économie pendant la pandémie. En raison de l'insistance de personnes comme la sénatrice Elizabeth Warren, il y a une condition très claire selon laquelle vous ne pouvez pas utiliser les fonds de relance pour racheter vos propres actions. Et c'est aussi ce qui se passe en période de prospérité : d'énormes quantités de subventions publiques, de garanties, d'investissements qui ne sont pas structurés correctement, et qui font donc partie du problème d'une certaine manière.

C'est intéressant. J'aimerais te laisser quelques minutes pour parler de la France, car ton premier livre y a enfin été traduit, sept ans après sa publication au Royaume-Uni. Je veux dire que ton livre a longtemps été disponible dans quasiment tous les pays, sauf la France. Que s'est-il passé là-bas ? Je veux dire : pourquoi seulement maintenant ?

Je ne sais pas. J'ai posé un jour cette question à mon agent : pourquoi la France manque-t-elle à l’appel ? Et il m’a dit : “Oh, la dernière fois que nous avons parlé à un éditeur en France, il m’a répondu que la France avait déjà un Etat entrepreneurial, et qu’il n’y avait donc pas besoin d’un livre sur le sujet”.

Or la France a certes un État interventionniste, mais elle n’a pas nécessairement un État entrepreneurial.

Toutes ces choses dont nous parlions auparavant, c'est-à-dire comment alimenter un système d'innovation dynamique et fort tout au long de la chaîne – tout cela n’existe pas nécessairement en France. Même s’il y a par ailleurs des choses formidables en France, comme l’Ecole nationale d'administration.

… qui n'est pas très populaire de nos jours.

Ah oui ? A vrai dire, je n’en sais rien. Je veux dire : je ne connais pas la politique française. Mais le fait est qu’au moins, la France n’a pas fait la même chose que le Royaume-Uni, c’est-à-dire externaliser complètement le cerveau de son secteur public au profit des grands cabinets de conseil.

En réalité, si, il s’est passé la même chose. L'ENA forme de moins en moins d'étudiants et donc l’Etat recourt de plus en plus à des consultants McKinsey.

Si c’est le cas, alors c’est un problème. 

Par ailleurs, la France a ses entreprises publiques — qu’il faudrait considérer comme plus qu’une simple participation. Comment gérer une transition en faisant levier d’un portefeuille d'entreprises publiques ? On peut leur laisser la bride sur le cou, ou bien en faire un levier de politique industrielle. L'Italie, par exemple, a une banque publique, la CDC, mais celle-ci ne s’est comportée comme, par exemple, la banque publique allemande : elle n’a pas été un co-investisseur actif dans cette période de transition, par exemple pour forcer la mise à niveau de l’industrie sidérurgique locale en termes de protection de l’environnement – rendant ainsi les entreprises plus compétitives !

Je pense donc qu’il y a des leçons pour la France dans mon livre. Mais je pense aussi qu’il faut que l’Etat ait confiance en lui. Or en France comme en Italie et ailleurs, l’Etat n’a pas le courage de parler de conditionnalités, par exemple.

Pour dire les choses simplement, il y a beaucoup de gens en France qui sont d'accord avec tes positions sans avoir lu ton livre.

Et il y a aussi mon nouveau livre, qui sort en janvier ! Et je suis heureux de faire un autre podcast avec vous, c'est sur le vif. Il s'appelle Mission Economy: A Moonshot Guide to Changing Capitalism, qui sort chez Penguin. Je ne me souviens pas si la France a acheté les droits – je vais vérifier ! C'est un livre consacré à la bonne manière de faire, presque comme un manuel. Beaucoup d’Etats sont prêts à passer à l’acte, mais il leur manque le mode d’emploi.

Comment choisir ces missions ? Comment mobiliser les citoyens ? Quelle nouvelle économie politique mettre en place ? Mon livre sur la valeur, bien sûr, qui est paru en 2018, portait également sur la nouvelle théorie économique de la valeur qui est nécessaire pour créer collectivement de la valeur. L'intelligence collective ne donnera rien si on reste encombré par une théorie de la valeur obsolète.

Exactement. Ce qui m'amène à ma dernière question sur le travail que tu mènes au sein de l’IIPP (Institut pour l'innovation et la valeur publique). Comment le définirais-tu pour quelqu'un qui n'en a jamais entendu parler ? J'en ai entendu parler, mais peut-être que les auditeurs n'en ont pas entendu parler. En particulier, tu as réuni un groupe incroyable de personnes extraordinaires pour reconstruire fondamentalement la pensée progressiste et avoir un fort impact, pas seulement dans le monde des idées. Que faites-vous tous exactement au sein de cet institut ? Cela peut-il inspirer d’autres personnes ?

Oui, c'est ça. Donc, tout d'abord, nous sommes un département à part entière. Lorsque l'université m'a recruté, j'ai insisté sur le fait que je voulais créer un département digne de ce nom – pas seulement un petit institut au sein d’un département d'économie classique où nous aurions été, comme d’habitude, marginalisés par rapport aux courants de pensée dominants. En étant complètement indépendants, nous pouvons concevoir notre propre programme – et c’est cela notre objectif : repenser l'État en actionnant quatre leviers différents.

Premièrement, le programme universitaire, littéralement la formation nécessaire pour que les fonctionnaires du monde entier se considèrent comme des co-créateurs actifs aux côtés des entreprises, de la société civile et des autres institutions. Ce qui est nouveau, c'est notre proposition d’un master en administration publique qui n’est pas soumis à la théorie des choix publics ou à la discipline de la “nouvelle gestion publique” – ces façons de penser l’administration qui sont aujourd’hui périmées.

Ensuite, nous avons un programme de recherche qui alimente tout cela, c'est-à-dire, quel est le nouveau type de constructions théoriques dont nous avons également besoin pour cela ? Par exemple, quelle est la valeur publique qui revient dans cette discussion de la BBC dont nous avons parlé ? Ce programme de recherche s'articule autour de quatre grands thèmes : repenser la valeur, transformer les institutions, façonner l'innovation et réorienter les finances. Mais aussi la politique – nous ne faisons pas seulement ce que les universitaires aiment faire, c'est-à-dire prendre les décideurs politiques de haut et leur proposer de lire nos articles, et puis voilà. Notre objectif est de travailler avec eux. Par exemple, nous aidons à mettre sur pied une toute nouvelle banque publique en Écosse.

Au-delà, nous aidons la Commission européenne à repenser sa politique d'innovation. Nous aidons les pays à repenser leurs stratégies industrielles, en passant de la simple liste des secteurs qui méritent l’attention des pouvoirs publics à l’analyse des problèmes pour lesquels tous les secteurs doivent innover. Nous le faisons avec eux, ce qui signifie que c'est fatigant. Croyez-moi, il nous a fallu deux ans pour mettre en place cette banque publique en Ecosse, et ce n'est pas parfait. Il est évident qu'à un moment donné, ils prennent le relais et les choses peuvent mal tourner. Mais nous avons également organisé des formations pour les personnes concernées. A Bruxelles, il a fallu deux ans pour faire passer ce concept de missions ; et nous avons également travaillé pendant deux ans avec le gouvernement britannique, sous la direction de Theresa May, pour mettre en place une stratégie industrielle axée sur l’accomplissement de missions.

En faisant cela, nous nous salissons littéralement les mains. Vous ne pouvez pas voir mes ongles ici, parce que c'est un podcast. Mais nous nous salissons les mains – et pourquoi est-ce important ? Parce que ce faisant, nous apprenons nous-mêmes. Je pense que c'est un des thèmes de notre conversation d'aujourd'hui : nous devons nous-mêmes, les universitaires, être humbles, écouter et apprendre et transférer tout cela vers la théorie. C'est ce que nous appelons l'apprentissage basé sur la pratique. Ces trois domaines sont donc également importants.

Le quatrième pilier est le récit. Dès le premier jour, nous avons mis en place plusieurs séries de séminaires publics. La première a eu lieu à la British Library autour du domaine public. Et nous avons fait venir des designers et des architectes pour parler de ce qu'est une place publique. Ce n'est pas parce que vous pouvez entrer gratuitement sur une place que celle-ci est publique. De la même manière que pour Google : le fait de pouvoir y faire des recherches gratuitement ne signifie pas que c'est un bien public.

Comme le dit Shoshana Zuboff, vous pensez que vous cherchez sur Google gratuitement, eh bien, en fait, Google vous cherche gratuitement ! Que signifie gouverner les plateformes numériques dans l'intérêt du public ? Nous voulions créer une conversation avec les citoyens normaux, et pas seulement avec les décideurs économiques autour de cela. Nous allons d'ailleurs lancer une nouvelle série sur les rentes algorithmiques intitulée Who Owns What and Why, dans laquelle nous allons faire appel à de nombreuses personnes de différents horizons, afin d'impliquer la communauté au sens large, et pas seulement les entreprises, les décideurs politiques et les universitaires.

Dans l’ensemble, ces quatre domaines se résument tous à une seule chose, qui est de repenser l'État. Non pas parce que l'État est la chose la plus importante, mais parce que nous avons besoin de partenariats public-privé et que la partie publique a été décimée. Nous devons donc repenser le public et ce, de manière interdisciplinaire. Nous considérons notre approche comme un mouvement, de la même manière que la Société du Mont-Pèlerin était un mouvement à l'époque, dont l’objectif était la promotion de l'idéologie néolibérale. Ce combat n’était pas livré seulement à l’université, il avait aussi lieu dans l’univers du journalisme et dans le secteur culturel. Nous essayons de faire la même chose aujourd’hui, mais dans une direction opposée. Repenser le marché, repenser l'économie, repenser l'État pour l'intérêt public. Nous repensons le bien commun.

Mon intuition est que tout cela prend de l'ampleur et que les gens commencent à l'écouter. Je suis assez optimiste quant à l'impact de ce que tu fais. Je te remercie beaucoup pour ton temps. A nous, maintenant, de rester en alerte à l’approche de la parution de ton prochain livre ? 

Oui, si tout se passe bien, il sortira à la fin du mois de janvier. Il est sur ma table, je dois encore y apporter quelques corrections !

Excellent. Merci infiniment Mariana !

Merci beaucoup Laetitia. Au revoir.


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Photo: © Tania Cristofari / Contrasto

(Générique : Franz Liszt, Mephisto-Valse, S.514—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)

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