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Capital-risque : la nouvelle frontière
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Chaque lundi nous vous envoyons à la fois un “Édito”, une interview avec un·e invité·e passionnant·e (francophone ou non) et quelques informations pour mettre la semaine à venir en perspective et rappeler les contenus mis en ligne la semaine précédente. À partir de cette semaine, le fichier audio inclut à la fois l’Édito et l’interview 🎧

À l’agenda aujourd’hui 👇

  • Mon édito sur le capital-risque et la finance

  • Marie Ekeland sur sa nouvelle société de capital-risque : 2050

  • Nos conversations à venir cette semaine

  • Ce que vous avez peut-être manqué la semaine dernière

Le capital-risque mérite notre attention. D’un côté, c’est un segment marginal des marchés financiers, qui représente un volume de transactions et de capital déployé beaucoup moins important que les marchés d’actions, les marchés obligataires ou même le private equity traditionnel. De l’autre côté, ce sont les sociétés de capital-risque qui financent ces entreprises numériques de plus en plus dominantes dans tous les secteurs de l’économie. Cela signifie-t-il, pour autant, que le capital-risque nous révèle comment toute notre économie sera financée demain ?

Pour mieux comprendre ce qui se dessine, il faut d’abord rappeler que le capital-risque n’existe que dans un contexte très particulier. Ses origines remontent à la chasse à la baleine, à l’époque où des financiers apprenaient à financer des expéditions exposées à des risques considérables : la probabilité était grande que les navires se perdent en mer et ne reviennent jamais à leur port d’attache ! En revanche, si une expédition était couronnée de succès, alors les retours sur investissement étaient quasi-infinis. Dans une économie où l’électricité n’était pas encore utilisée au quotidien, l’huile de baleine était en effet quasiment la seule manière de s’éclairer la nuit.

Telle est l’équation du capital-risque : on y perd souvent de l’argent, parfois beaucoup ; mais quand une entreprise est couronnée de succès, les montants en jeu suffisent largement à compenser les pertes par ailleurs.

On comprend ainsi mieux pourquoi le capital-risque est si bien adapté au financement des entreprises numériques. La concurrence est si féroce sur les marchés sujets à une transition numérique que beaucoup d’entreprises échouent à y prendre pied. En revanche, quand l’une d’elles réussit à se détacher du peloton, elle est alors portée par ces rendements croissants d’échelle caractéristiques de l’informatique et des réseaux, et peut générer des retours sur investissement considérables pour ses actionnaires.

Parce que toute notre économie devient plus numérique, il y a tout lieu de penser que le financement des entreprises va ressembler de plus en plus au capital-risque. On le voit, en particulier, à deux tendances qui s’accélèrent ces temps-ci. D’un côté, de plus en plus d’acteurs de la finance traditionnelle s’intéressent aux entreprises numériques et, ce faisant, s’inspirent des pratiques propres à l’univers du capital-risque.

De l’autre côté, le capital-risque lui-même ne fait que croître à mesure que nous avançons dans la transition de l’économie. Or chaque secteur est différent : les startups dans l’immobilier ne ressemblent pas à celles dans la santé, qui elles-mêmes ne ressemblent pas aux startups dans la finance ou dans les services aux entreprises. Le résultat, c’est que le capital-risque s’adapte aux particularités de chaque secteur et change de forme au passage, se diversifiant à l’infini à mesure que se présente de nouveaux défis : faciliter le travail à distance, personnaliser le système de santé, faire rouler des voitures sans chauffeur, lutter contre le réchauffement climatique.

C’est la raison pour laquelle le capital-risque devient un sujet incontournable, même pour ceux qui ne s’intéressent que de loin à la transition en cours. La finance traditionnelle imite de plus en plus le capital-risque, mais le capital-risque lui-même n’a de cesse de se rapprocher de la finance traditionnelle pour mieux la réinventer. Demain, c’est tout notre système financier qu’il faudra mettre à niveau pour prendre acte de cette tendance et développer à nouveau notre économie.

Dans l’intervalle, l’ambition de Nouveau Départ est de vous donner à voir cette transition à travers autant d’exemples que possible. L’un d’eux est 2050, la société de capital-risque fondée par Marie Ekeland pour nous aider, collectivement, à penser et construire demain. Écoutez ma conversation avec Marie à l’aide du player ci-dessus ou encore sur Apple Podcasts et Spotify 🎧

Le capital-risque pour les nuls (conversation “À deux voix”)—réservé aux abonnés.

Climat : enfin du progrès ? (conversation “À deux voix”)—réservé aux abonnés.

Voici ci-dessous un court extrait de ma conversation avec Marie Ekeland sur l’avenir du capital-risque et la nouvelle société qu’elle vient de fonder, 2050.

Marie, dis-nous en un peu plus sur 2050. 2050, c'est l'année que nous atteindrons tous dans 29 ans, mais c'est aussi le nom de la nouvelle société de capital-risque que tu a fondée l'année dernière. Pourquoi cette démarche ? Tu as commencé ta carrière dans le capital-risque chez Elaia auprès de Xavier Lazarus, puis tu as cofondé une autre société qui s'appelle Daphni et maintenant, c'est 2050 – et 2050 me semble, à moi, à bien des égards, très différente des sociétés de capital-risque traditionnelles !

Est ce que tu peux nous expliquer la thèse qu'il y a derrière? Et nous expliquer la façon de déployer du capital qui va être celle de 2050 ?

Alors déjà, il y a une première chose qui est que cette notion d'alignement dont je viens de parler, qui est de se dire qu’il faut qu'on arrive à créer des entreprises qui alignent leurs intérêts économiques avec celui de la société, celui de la planète.

Pour cela, nous avons innové s’agissant de la société de gestion. Dans le capital-risque, la société de gestion, c’est l’entité qui opère et va procéder à l’investissement des fonds. D'habitude, ces sociétés de gestion sont détenues par les gérants, ceux qui prennent les décisions d'investissement. Et là, ce qu'on a fait, c'est qu'on a décidé que la société de gestion serait détenue par un fonds de pérennité. Et cela, c’est tout nouveau ! Je pense en tout cas que c’est une première en France. C’a été rendu possible par la loi PACTE de 2019, qui a mis en place ces entités d’un type nouveau – des sortes de fondations sans but philanthropique.

C’est un peu comme si on avait confié le capital de notre société de gestion à un organe de gouvernance dont le seul but est de vérifier que 2050 accomplit bien sa mission, se développe économiquement et continue à incarner cette idée d’alignement entre l’économie et la société.

Pour cela, il faut des garants. Par exemple, nous avons un conseil d'administration dont la mission est de veiller à la pérennité de l'entreprise et à l'accomplissement de sa mission et à son développement économique et ses garants.

Un autre collège est celui des investisseurs. Un troisième est celui des fondateurs des entreprises dans lesquelles on investit. Et puis il y a un quatrième collège composé de personnalités de notre premier cercle. L’idée, avec cette gouvernance multipartite, est d’avoir un modèle décentralisé, très écosystémique en réalité.

La deuxième chose qu'on a mise en place pour garantir cet alignement, c’est de monter un fonds evergreen – un fonds qui n’a aucune obligation de renvoyer de l’argent à ses investisseurs avant 99 ans, ce qui nous ménage du temps pour déployer cet argent et le mettre au travail. L’idée, c’est que nos investisseurs gagnent de l’argent en revendant des parts du fonds.

Du coup, ça nous évite de mettre la pression sur les entrepreneurs : nous n’avons pas nécessairement à vendre nos participations dans leurs entreprises pour que nos propres investisseurs gagnent de l’argent ! On ne va pas faire peser nos contraintes sur les décisions stratégiques des entreprises dans lesquels nous investissons.

La différence avec un fonds de capital-risque traditionnel, c'est qu’il a une durée de vie qui est par exemple de 9 ans – ce qui veut dire qu’à cette échéance, la société de gestion s'engage à rendre les fonds aux investisseurs et donc à liquider ou à céder le fonds. Tout cela oblige les entreprises sous jacentes à trouver des solutions de refinancement, soit en s'introduisant en Bourse, en trouvant un acquéreur. Ça crée une énorme contrainte sur les créateurs d'entreprise.

C'est exactement ça. C’est pour cela que j’insiste sur cette notion d’alignement – sur cette idée, quelque part, que les contraintes auxquelles sont soumis les investisseurs ne doivent pas influer sur la stratégie des entreprises elles-mêmes.

D'où l'idée du fonds evergreen. L’idée, c’est que les investisseurs se débrouillent entre eux pour générer de la liquidité. C’est un choix qu’on a fait pour deux raisons.

La première, c'est que le marché du secondaire dans le private equity en général et le capital-risque en particulier est en croissance très forte. Donc on pense qu'on n'aura pas de problème pour trouver de la liquidité au niveau des parts du gonds parce qu'il y a vraiment cette classe d'actifs qui est en train de se développer très fort.

En pratique, l’enjeu c’est de faire entrer un nouvel investisseur dans le fonds pour en faire sortir un autre qui a besoin de liquidités.

C'est exactement ça. C'était une pratique compliquée dans le passé. Mais, comme tu le dis, ça devient beaucoup plus facile. Il y a beaucoup plus d'appétence pour ce type d’opération et, du coup, nous avons pensé à simplifier ces transactions en cotant le fonds sur des plateformes qui permettent de faire des échanges de gré à gré très facilement. C’est une avancée majeure : des outils technologiques qui permettent d’acheter et de vendre sur le marché secondaire de manière beaucoup plus simple, beaucoup plus fluide, beaucoup plus démocratisée. Donc ça, c'est à la fois les outils technologiques et la croissance du marché font qu'on est assez à l'aise avec l’idée de prendre ce pari-là – faire un fonds evergreen, focalisé sur le long terme.

L'autre chose, c'est que pour garantir l’alignement entre toutes les parties prenantes dans notre écosystème, nous voulons que tous les investisseurs soient dans le même fonds. Ce n’est pas comme dans le capital-risque traditionnel, où les investisseurs ne sont pas les mêmes d’un fonds à l’autre. Avec 2050, tout le monde a intérêt à ce que l’ensemble des entreprises dans lesquelles on a investi se développent. L'idée, c'est vraiment de créer un sentiment d'appartenance complète.

Est ce que l’option pour un fonds de pérennité ne va pas casser les mécanismes d’incitation qui s’appliquent en général à la gouvernance des sociétés de capital-risque ?

Historiquement, dans les sociétés de gestion, les gérants investissent personnellement dans les fonds et, en contrepartie, ils touchent une quote-part de la plus-value. Mais dans notre approche à nous, on a encore plus intérêt à maximiser la performance du portefeuille, puisqu’on renonce à un levier essentiel de notre rémunération : les dividendes versés par la société de gestion.

Dans ces conditions, nous gérants de 2050 n’avons plus que deux sources de revenus : notre salaire et le carried interest sur les retours sur investissement réalisés sur le long terme. Cela aussi, c’est pour affirmer cette valeur de l’alignement.

Écoutez la suite de mon entretien avec Marie en utilisant le player ci-dessus ou en téléchargeant le podcast dans votre application préférée !

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(Générique : Franz Liszt, Angelus ! Prière Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)

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