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Une autre approche du capital-risque
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Une autre approche du capital-risque

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Bonjour à tous ! Cette édition vous donne accès en avant-première à la conversation que j’ai eue la semaine dernière avec Marie Ekeland, figure du capital-risque en France et fondatrice de la nouvelle société de capital-risque 2050. Nos échanges m’ont beaucoup fait pensé à l’ouvrage majeur de l’une de mes idoles, Carlota Perez, dont je vous propose une courte note de lecture en préambule.

Carlota Perez est une économiste spécialiste de l’histoire économique et des questions d’innovation. Originaire du Venezuela, elle a commencé sa carrière dans le secteur de l’énergie et travaillé sur les sujets de développement de l’économie de son pays natal. Elle a ensuite opté pour une carrière à mi-chemin entre l’expertise et le monde académique, qui l’a emmenée aux quatre coins du monde et en particulier au Royaume-Uni, où elle vit encore aujourd’hui.

Lorsque Laetitia et moi habitions Londres, je lui rendais parfois visite dans sa petite ville de Lewes, au bord de la Manche, à une heure de train de Londres, pour des échanges autour d’un dîner dans son restaurant thai favori.

Carlota n’a publié qu’un seul ouvrage à ce jour, Technological Revolutions and Financial Capital, mais celui-ci est devenu, depuis sa parution en 2002, une référence incontournable dans le monde du capital-risque : alors même qu’elle n’a jamais travaillé dans cet univers, elle est citée comme la principale source d’inspiration par des investisseurs aussi renommés que Bill Janeway (Warburg Pincus), Marc Andreessen (a16z), Fred Wilson (USV), Chris Dixon (a16z), James Cham (Bloomberg Beta), Sean Park (Anthemis), Alex Danco (Shopify) et bien d’autres.

Que contient ce livre ? Une thèse fascinante qui rapproche les révolutions technologiques successives (le textile, le chemin de fer, la sidérurgie, l’automobile et le numérique) et l’évolution des marchés financiers. En gros, pour Carlota, chaque révolution technologique se décompose en trois phases :

  • D’abord une phase de mise en place (installation phase), pendant laquelle les entrepreneurs et investisseurs cherchent à comprendre la nouvelle technologie du moment et en explorent les potentielles applications commerciales. Cette phase culmine en général dans une bulle spéculative, qui reflète le fait qu’on ne comprend pas encore bien tout et que beaucoup d’infrastructures et d’institutions font encore défaut pour pouvoir transformer la production, la consommation et le travail dans la plupart des secteurs de l’économie.

  • Vient ensuite un point d’inflexion (turning point) révélé par l’explosion de la bulle spéculative qui a marqué la phase précédente. C’est ce qui s’est passé, en particulier, en 2000, avec l’explosion de la bulle dite des “dotcoms”, qui avait emmené le Nasdaq vers les sommets. Faute de points de comparaison et d’une compréhension suffisante d’Internet et de son potentiel, les investisseurs se sont laissés emmener vers des valorisations trop élevées et ont fini par prendre peur, provoquant le dégonflement de la bulle et la destruction d’énormément de valeur.

  • Enfin vient une phase de déploiement (deployment phase), pendant laquelle une nouvelle génération d’entrepreneurs se lance, mais cette fois sur des bases beaucoup plus solides (ceux qui, il y a 10 à 15 ans, ont fondé les Facebook, Uber, Airbnb). Surtout, les pouvoirs publics reprennent l’initiative et commencent à mettre en place des institutions adaptées au nouveau paradigme – un nouveau contrat social, comme celui que je décris dans mon ouvrage Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, février 2020), qui permet de rendre la nouvelle économie plus soutenable, plus inclusive et plus prospère.

Nous sentons bien que nous commençons à rentrer dans cette phase de déploiement ces temps-ci : en témoignent les convulsions du monde et l’accélération de la transition provoquée par la pandémie de COVID-19. Je reconnais dans cette idée fondamentale, que nous devons à Carlota, l’intuition qui a conduit Marie à fonder 2050 autour de cette idée de l’alignement et de la transition vers une économie plus fertile. Il n’y a donc pas meilleure lecture pour mettre notre conversation en perspective que cet ouvrage de Carlota Perez, Technological Revolutions and Financial Capital – qui, malheureusement, n’est disponible qu’en anglais 🇬🇧

Marie, dis-nous en un peu plus sur 2050. 2050, c'est l'année que nous atteindrons tous dans 29 ans, mais c'est aussi le nom de la nouvelle société de capital-risque que tu a fondée l'année dernière. Pourquoi cette démarche ? Tu as commencé ta carrière dans le capital-risque chez Elaia auprès de Xavier Lazarus, puis tu as cofondé une autre société qui s'appelle Daphni et maintenant, c'est 2050 – et 2050 me semble, à moi, à bien des égards, très différente des sociétés de capital-risque traditionnelles !

Est ce que tu peux nous expliquer la thèse qu'il y a derrière? Et nous expliquer la façon de déployer du capital qui va être celle de 2050 ?

Alors déjà, il y a une première chose qui est que cette notion d'alignement dont je viens de parler, qui est de se dire qu’il faut qu'on arrive à créer des entreprises qui alignent leurs intérêts économiques avec celui de la société, celui de la planète.

Pour cela, nous avons innové s’agissant de la société de gestion. Dans le capital-risque, la société de gestion, c’est l’entité qui opère et va procéder à l’investissement des fonds. D'habitude, ces sociétés de gestion sont détenues par les gérants, ceux qui prennent les décisions d'investissement. Et là, ce qu'on a fait, c'est qu'on a décidé que la société de gestion serait détenue par un fonds de pérennité. Et cela, c’est tout nouveau ! Je pense en tout cas que c’est une première en France. C’a été rendu possible par la loi PACTE de 2019, qui a mis en place ces entités d’un type nouveau – des sortes de fondations sans but philanthropique.

C’est un peu comme si on avait confié le capital de notre société de gestion à un organe de gouvernance dont le seul but est de vérifier que 2050 accomplit bien sa mission, se développe économiquement et continue à incarner cette idée d’alignement entre l’économie et la société.

Pour cela, il faut des garants. Par exemple, nous avons un conseil d'administration dont la mission est de veiller à la pérennité de l'entreprise et à l'accomplissement de sa mission et à son développement économique et ses garants.

Un autre collège est celui des investisseurs. Un troisième est celui des fondateurs des entreprises dans lesquelles on investit. Et puis il y a un quatrième collège composé de personnalités de notre premier cercle. L’idée, avec cette gouvernance multipartite, est d’avoir un modèle décentralisé, très écosystémique en réalité.

La deuxième chose qu'on a mise en place pour garantir cet alignement, c’est de monter un fonds evergreen – un fonds qui n’a aucune obligation de renvoyer de l’argent à ses investisseurs avant 99 ans, ce qui nous ménage du temps pour déployer cet argent et le mettre au travail. L’idée, c’est que nos investisseurs gagnent de l’argent en revendant des parts du fonds.

Du coup, ça nous évite de mettre la pression sur les entrepreneurs : nous n’avons pas nécessairement à vendre nos participations dans leurs entreprises pour que nos propres investisseurs gagnent de l’argent ! On ne va pas faire peser nos contraintes sur les décisions stratégiques des entreprises dans lesquels nous investissons.

La différence avec un fonds de capital-risque traditionnel, c'est qu’il a une durée de vie qui est par exemple de 9 ans – ce qui veut dire qu’à cette échéance, la société de gestion s'engage à rendre les fonds aux investisseurs et donc à liquider ou à céder le fonds. Tout cela oblige les entreprises sous jacentes à trouver des solutions de refinancement, soit en s'introduisant en Bourse, en trouvant un acquéreur. Ça crée une énorme contrainte sur les créateurs d'entreprise.

C'est exactement ça. C’est pour cela que j’insiste sur cette notion d’alignement – sur cette idée, quelque part, que les contraintes auxquelles sont soumis les investisseurs ne doivent pas influer sur la stratégie des entreprises elles-mêmes.

D'où l'idée du fonds evergreen. L’idée, c’est que les investisseurs se débrouillent entre eux pour générer de la liquidité. C’est un choix qu’on a fait pour deux raisons.

La première, c'est que le marché du secondaire dans le private equity en général et le capital-risque en particulier est en croissance très forte. Donc on pense qu'on n'aura pas de problème pour trouver de la liquidité au niveau des parts du gonds parce qu'il y a vraiment cette classe d'actifs qui est en train de se développer très fort.

En pratique, l’enjeu c’est de faire entrer un nouvel investisseur dans le fonds pour en faire sortir un autre qui a besoin de liquidités.

C'est exactement ça. C'était une pratique compliquée dans le passé. Mais, comme tu le dis, ça devient beaucoup plus facile. Il y a beaucoup plus d'appétence pour ce type d’opération et, du coup, nous avons pensé à simplifier ces transactions en cotant le fonds sur des plateformes qui permettent de faire des échanges de gré à gré très facilement. C’est une avancée majeure : des outils technologiques qui permettent d’acheter et de vendre sur le marché secondaire de manière beaucoup plus simple, beaucoup plus fluide, beaucoup plus démocratisée. Donc ça, c'est à la fois les outils technologiques et la croissance du marché font qu'on est assez à l'aise avec l’idée de prendre ce pari-là – faire un fonds evergreen, focalisé sur le long terme.

L'autre chose, c'est que pour garantir l’alignement entre toutes les parties prenantes dans notre écosystème, nous voulons que tous les investisseurs soient dans le même fonds. Ce n’est pas comme dans le capital-risque traditionnel, où les investisseurs ne sont pas les mêmes d’un fonds à l’autre. Avec 2050, tout le monde a intérêt à ce que l’ensemble des entreprises dans lesquelles on a investi se développent. L'idée, c'est vraiment de créer un sentiment d'appartenance complète.

Est ce que l’option pour un fonds de pérennité ne va pas casser les mécanismes d’incitation qui s’appliquent en général à la gouvernance des sociétés de capital-risque ?

Historiquement, dans les sociétés de gestion, les gérants investissent personnellement dans les fonds et, en contrepartie, ils touchent une quote-part de la plus-value. Mais dans notre approche à nous, on a encore plus intérêt à maximiser la performance du portefeuille, puisqu’on renonce à un levier essentiel de notre rémunération : les dividendes versés par la société de gestion.

Dans ces conditions, nous gérants de 2050 n’avons plus que deux sources de revenus : notre salaire et le carried interest sur les retours sur investissement réalisés sur le long terme. Cela aussi, c’est pour affirmer cette valeur de l’alignement.

Écoutez la suite de mon entretien avec Marie en utilisant le player ci-dessus ou en téléchargeant le podcast dans votre application préférée !


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(Générique : Franz Liszt, Angelus ! Prière Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)

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