L’allongement de la vie et la transition démographique marquent une révolution dans notre rapport au travail et à la “carrière”, comme Nicolas et moi en avons parlé dans ce podcast “A deux voix” : Qu’est-ce “faire carrière” aujourd’hui ?
La vie en trois phases (formation, travail, puis retraite) était la norme dans le paradigme fordiste. Elle associait une “phase” à chaque âge de la vie. Les carrières étaient linéaires et l’âge chronologique était déterminant.
Après la dernière révolution technologique et grâce à une longévité inédite dans l’histoire humaine, les institutions de cet époque-là, pensées pour soutenir la vie active en trois phases (l’école, les syndicats, la sécurité sociale, les systèmes de retraite), volent en éclat. Il en va de même pour toutes les idées concernant l’âge.
Dans leur livre précédent, The 100-Year Life: Living and Working in an Age of Longevity (2016), Gratton et Scott évoquaient déjà ce à quoi l’avenir du travail pourrait ressembler dans un contexte de vie (beaucoup) plus longue. Dans un livre publié cette année, les deux auteurs poursuivent cette réflexion entamée dans The 100-Year Life.
L’une des idées les plus remarquables du livre, c’est que “l’âge est malléable” et que nous devrions cesser de nous focaliser sur l’âge chronologique pour regarder plutôt l’âge biologique et l’âge subjectif. Après tout, l’âge chronologique (indiqué sur nos actes de naissance) est une “invention” des bureaucraties modernes. D’ailleurs, avant le XXe siècle, on ne fêtait pas les anniversaires ! Ce qui comptait, c’était la validité de la personne et son rôle dans la communauté.
L’âge est malléable. Comme le révèlent les travaux les plus récents des neurologues, notre cerveau a une plasticité surprenante. Quand votre cerveau est-il au mieux de sa forme ? Eh bien, cela dépend de ce que vous essayez de faire. C’est probablement à la fin de l'adolescence que vous serez le plus rapide en calcul mental. Mais c’est dans la trentaine que votre mémoire à court terme atteint son maximum. Quant à votre compréhension sociale et culturelle, elle ne sera à son apogée qu’une, deux ou trois décennies plus tard !
Ces descriptions ne s'appliquent pas à tout le monde, bien sûr. Il existe des très grandes variations au sein même des “classes” d'âge. Ce qu’il faut savoir, c’est que la stimulation constante de votre cerveau contribuera à en maintenir la plasticité et la performance. Comme l’écrivent Andrew Scott et Lynda Gratton :
La vraie raison pour laquelle vous ne pouvez pas apprendre de nouveaux tours à un vieux chien, ce n'est pas parce que le chien est devenu vieux, mais parce qu'il a cessé d’apprendre continuellement de nouveaux tours.
Andrew J. Scott est professeur d'économie à la London Business School et chercheur consultant au Center on Longevity de l'université de Stanford. Lynda Gratton, elle, est professeure de gestion à la même London Business School, et psychologue de formation. À eux deux, ils abordent le sujet de la longévité sous toutes ses coutures. C’est en effet un phénomène qui intéresse autant les neurologues et les médecins que les économistes, les sociologues et les philosophes. C’est pour cela qu’ils ont souhaité aborder ce thème en mêlant plusieurs disciplines.
Les experts et les politiques ont tendance à ne regarder le vieillissement que comme un fardeau et un “problème”. Les systèmes de retraite ne seront plus soutenables, dit-on, si le ratio actifs / inactifs atteint un certain seuil. C'est pourquoi, disent-ils, il faut augmenter l'âge de la retraite. À quelques exceptions, les gouvernements comme les employeurs agissent comme s’il ne fallait rien changer à la vie en trois phases, seulement l’ajuster ici ou là, par exemple, en allongeant la deuxième phase.
Pour Gratton et Scott, ce sont en réalité toutes les institutions et les catégories qu’il s’agit de voir autrement ! L’âge n’est pas un “fardeau”, c’est un cadeau, pourvu qu’on le regarde autrement. Par exemple, il est indispensable de remodeler l'éducation pour en faire un processus qui dure toute la vie plutôt qu'un service que l’on ne consomme qu'à l'adolescence.
De plus, les employeurs doivent mieux comprendre la valeur des travailleurs plus âgés. Un management qui sait tirer le meilleur parti des différentes générations est fait de souplesse et d’empathie : on ne devrait pas être obligé de prendre de plus en plus de responsabilités à mesure que l’on vieillit, on vous offre des opportunités de mobilité horizontale pour continuer à vous stimuler, et il est possible de s’arrêter un temps pour s’occuper d’un parent ou d’un enfant, sans voir sa carrière pénalisée.
Pour mieux dénoncer les stéréotypes associés aux générations (baby-boomers, millennials, etc.), les auteurs s’appuient sur les travaux des chercheurs sur la longévité. Ils montrent notamment que les travailleurs âgés font souvent preuve d'une “intelligence cristallisée" grâce à laquelle "les informations, les connaissances, la sagesse et les stratégies s'accumulent au fil du temps".
Mais il est tout aussi important que les individus eux-mêmes fassent preuve d’innovation et deviennent des “pionniers” de la vie multi-phases, pour mieux imaginer leur vie autrement en investissant dans la formation continue, en réfléchissant au travail qu'ils pourraient faire par la suite et en restant en contact avec les jeunes.
Faisant valoir que "actuellement, trop de politiques d'entreprise sont incompatibles avec l'épanouissement humain", Gratton et Scott proposent un nouveau modèle d'entreprise qui invite les employeurs et les gouvernements à favoriser un environnement de travail plus tolérant à l'égard des parcours professionnels longs et non linéaires, et à assurer un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. C’est un élément essentiel pour les travailleurs comme les chefs d'entreprise qui cherchent à s'adapter à un monde en transition.
Le sujet nous tient à coeur. C’est pourquoi il occupe en place centrale dans la grille de Nouveau Départ. J’ai récemment interviewé le professeur Andrew Scott dans le cadre de Building Bridges. Nous enverrons bientôt à nos abonnés une transcription en français de cette interview. À suivre…
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