Nouveau Départ
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En finir avec l'âgisme
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Voici la version intégrale d’un entretien réalisé avec Andrew Scott, co-auteur avec Lynda Gratton d’un ouvrage qui m’a beaucoup inspirée, The New Long Life.

🎧 Si vous le souhaitez, vous pouvez aussi retrouver la version originale de ce podcast ici (ou encore sur Apple Podcasts ou Spotify) ou écouter le podcast en VO diffusé dans cette newsletter 👆

En guise d’introduction, nous vous proposons aussi ci-dessous un extrait d’une Note de lecture sur l’ouvrage d’Andrew, publiée il y a quelques mois sur Nouveau Départ.

Dans leur livre précédent, The 100-Year Life: Living and Working in an Age of Longevity(2016), Gratton et Scott évoquaient déjà ce à quoi l’avenir du travail pourrait ressembler dans un contexte de vie (beaucoup) plus longue. Dans un livre publié cette année, les deux auteurs poursuivent cette réflexion entamée dans The 100-Year Life.

L’une des idées les plus remarquables du livre, c’est que “l’âge est malléable” et que nous devrions cesser de nous focaliser sur l’âge chronologique pour regarder plutôt l’âge biologique et l’âge subjectif. Après tout, l’âge chronologique (indiqué sur nos actes de naissance) est une “invention” des bureaucraties modernes. D’ailleurs, avant le XXe siècle, on ne fêtait pas les anniversaires ! Ce qui comptait, c’était la validité de la personne et son rôle dans la communauté.

L’âge est malléable. Comme le révèlent les travaux les plus récents des neurologues, notre cerveau a une plasticité surprenante. Quand votre cerveau est-il au mieux de sa forme ? Eh bien, cela dépend de ce que vous essayez de faire. C’est probablement à la fin de l'adolescence que vous serez le plus rapide en calcul mental. Mais c’est dans la trentaine que votre mémoire à court terme atteint son maximum. Quant à votre compréhension sociale et culturelle, elle ne sera à son apogée qu’une, deux ou trois décennies plus tard !

Ces descriptions ne s'appliquent pas à tout le monde, bien sûr. Il existe des très grandes variations au sein même des “classes” d'âge. Ce qu’il faut savoir, c’est que la stimulation constante de votre cerveau contribuera à en maintenir la plasticité et la performance. Comme l’écrivent Andrew Scott et Lynda Gratton :

La vraie raison pour laquelle vous ne pouvez pas apprendre de nouveaux tours à un vieux chien, ce n'est pas parce que le chien est devenu vieux, mais parce qu'il a cessé d’apprendre continuellement de nouveaux tours.

Andrew J. Scott est professeur d'économie à la London Business School et chercheur consultant au Center on Longevity de l'université de Stanford. Lynda Gratton, elle, est professeure de gestion à la même London Business School, et psychologue de formation. À eux deux, ils abordent le sujet de la longévité sous toutes ses coutures. C’est en effet un phénomène qui intéresse autant les neurologues et les médecins que les économistes, les sociologues et les philosophes. C’est pour cela qu’ils ont souhaité aborder ce thème en mêlant plusieurs disciplines.

Les experts et les politiques ont tendance à ne regarder le vieillissement que comme un fardeau et un “problème”. Les systèmes de retraite ne seront plus soutenables, dit-on, si le ratio actifs / inactifs atteint un certain seuil. C'est pourquoi, disent-ils, il faut augmenter l'âge de la retraite. À quelques exceptions, les gouvernements comme les employeurs agissent comme s’il ne fallait rien changer à la vie en trois phases, seulement l’ajuster ici ou là, par exemple, en allongeant la deuxième phase.

Pour Gratton et Scott, ce sont en réalité toutes les institutions et les catégories qu’il s’agit de voir autrement ! L’âge n’est pas un “fardeau”, c’est un cadeau, pourvu qu’on le regarde autrement. Par exemple, il est indispensable de remodeler l'éducation pour en faire un processus qui dure toute la vie plutôt qu'un service que l’on ne consomme qu'à l'adolescence.

De plus, les employeurs doivent mieux comprendre la valeur des travailleurs plus âgés. Un management qui sait tirer le meilleur parti des différentes générations est fait de souplesse et d’empathie : on ne devrait pas être obligé de prendre de plus en plus de responsabilités à mesure que l’on vieillit, on vous offre des opportunités de mobilité horizontale pour continuer à vous stimuler, et il est possible de s’arrêter un temps pour s’occuper d’un parent ou d’un enfant, sans voir sa carrière pénalisée.

Lisez l’ensemble de cette Note de lecture ICI.

Bonjour à tous, je suis Laetitia Vitaud, la fondatrice du podcast Building Bridges, créé pour donner à des personnalités du monde entier l'accès à un public européen fragmenté. Pour cet épisode, je suis heureuse d'accueillir le professeur Andrew Scott. Professeur d'économie à la London Business School, il est l'auteur avec Lynda Gratton de The 100 Year Life: Living and Working in an Age of Longevity. L’été dernier, ils ont tous deux publié une suite à ce livre intitulée The New Long Life.

J'ai adoré les deux livres. En tant que personne qui écrit sur le travail, les ressources humaines, et les organisations, ces livres m'ont fourni un cadre très pertinent pour réfléchir à l'âge et au stade de la vie dans l'avenir du travail. En bref, l'âge n'est plus une fatalité.

Merci beaucoup, Andrew, de m’accorder cet entretien. C'est vraiment un honneur. Ma première question est un peu personnelle, comment as-tu vécu ces neuf mois de pandémie en 2020 ? Quel a été l'impact de la pandémie sur ta vie et ton travail ?

Quand les gens me demandent, je dis seulement « bien ». C’est la version courte. Cela a été un sacré défi, n'est-ce pas ? On a des sentiments mitigés. Évidemment, c'est une chose terrible. Vous savez, il y a trois choses dont on doit se préoccuper : sa santé physique, sa santé financière, sa santé mentale. La pandémie présente un défi pour ces trois choses. Heureusement, je vais bien, j'ai de la chance.

Je pense donc qu'il y a bien des gens qui ont eu plus de difficultés que moi. Bien que j’en ai eu quelques-unes aussi : ma fille vit en Australie et je ne l'ai pas vue depuis des mois. Je ne sais pas quand je pourrai la voir. C’est une grande frustration. 

Professionnellement, ce qui est étonnant, c'est à quel point mes journées sont devenues prévisibles. Avant, j'avais beaucoup plus de variété dans mon emploi du temps. Le côté prévisible a des bons et des mauvais côtés : d’un côté, j’ai plus de temps pour me concentrer sur l'écriture ; mais d’un autre côté, cette prévisibilité est un peu pénible. J’aimerais être interrompu davantage. J’aimerais rencontrer plus de gens. Chaque jour je réagis différemment à cette frustration.

Est-ce que tu arrives à écrire plus qu’auparavant ?

J'écris probablement plus. Il y a moins de voyages, donc j'écris probablement plus. Mais je ne suis pas sûr que ma productivité horaire ait vraiment augmenté. Parfois, quand on écrit, on a besoin d'être dérangé un peu. On a besoin de relever des nouveaux défis pour arriver à penser autrement. Alors oui, c’est cela qui a été difficile. Je pense que ce qui me manque, c’est cette sorte d'interaction fortuite et la rencontre de nouvelles idées.

Mais il y a certainement beaucoup plus de personnes qui t’ont contacté pendant cette pandémie pour te poser des questions. Et avec l’utilisation omniprésente de Zoom, peut-être as-tu chatté plus souvent avec des gens du monde entier ?

Les webinaires sont en pleine croissance, en effet. Mais je pense qu’il y en a trop. Moi, je fais souvent des conférences. Comme mon dernier livre est sorti en pleine pandémie, j’ai beaucoup regretté l’absence d’interactions physiques avec un public. Avec Zoom, quand on clique sur le bouton pour quitter l’application, c’est terminé, on ne peut plus parler aux gens et savoir ce qu’ils ont aimé et trouvé intéressant dans votre livre, les sujets qui ont trouvé un écho dans leur vie quotidienne. 

Néanmoins il y a eu des choses positives, des choses qu’on voudrait ne pas perdre quand on tournera la page de cette pandémie. C’est un mélange de choses. On a un peu l’impression d’avoir fait un voyage accéléré dans le futur, en particulier en ce qui concerne notre utilisation de la technologie. Mais d'autres parties de ce voyage nous donnent l'impression de remonter dans le passé, à une époque où on ne voyageait pas et où on n'avait aucune idée de ce qui se passe à l'étranger.

On avait pris l’habitude d’avoir les magasins ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Et puis soudain, les magasins sont fermés, c'est comme si on remontait dans un lointain passé. 

Est-ce que tu te dis que si c’est à ça que ressemble l'avenir, alors ce n'est pas souhaitable, c'est une dystopie ? Ce n'est pas vraiment un avenir désirable, n'est-ce pas ?

Oui, c'est vrai. Et je suis sûr que nous en reparlerons. L’un des thèmes de The New Long Life, c’est que nous devons nous assurer que nous utilisons cette technologie à notre avantage. Et je pense que le danger d'être poussé trop vite dans une technologie de manière maladroite, c’est de passer à côté de l'objectif visé. Ça peut être dommageable.

Dans ton livre précédent, The 100 Year Life, tu as parlé (avec Lynda Gratton) de la fin de la vie en trois phases de la vie (formation, travail, puis retraite). Nous devons désormais accepter la vie multi-phases, ce qui a un impact sur nos vies, sur les institutions, le travail, et les organisations. Dans The New Long Life, Lynda et toi répondez certainement à des questions qu’on vous a posées après The 100 Year Life

Dans The 100 Year Life, vous parlez de longévité, mais peut-être pas assez de la révolution technologique que nous traversons et de l’intersection entre ces deux phénomènes ? Quelle est la relation entre la révolution démographique et la révolution technologique ? 

Quelles sont les réactions que vous avez receuillies après le livre précédent, publié en 2016, si je ne me trompe pas ? Quelles sont les craintes les plus courantes que vous avez entendues et lues à propos de la longévité ? Et comment cela vous a-t-il incités à écrire The New Long Life ?

Nous avons écrit The New Long Life pour plusieurs raisons. Dans certains cas, en effet, c'était en réaction au premier. The 100 Year Life a connu un succès énorme, ce qui est très agréable. Nous en avons vendu environ 700 000 exemplaires dans le monde entie. Il a vraiment captivé l'imagination des gens. 

Pour moi, c'est un nouveau sujet, depuis environ 10 ans maintenant. Et c'est un sujet merveilleux, la longévité, c'est incroyablement profond. Pour le livre, j’ai voyagé à travers le monde pour parler à toutes sortes d’individus, des universitaires, des décideurs politiques, des financiers. Comme c'est un sujet si profond, il y avait évidemment beaucoup de choses à écrire. Nous voulions aller encore plus loin.

The 100 Year Life a été écrit dans une perspective individuelle, mais avec The New Long Life nous avons voulu examiner davantage l'aspect social. On parle de longévité. Une vie plus longue, cela concerne toute la vie, pas seulement la fin de la vie. Non seulement il y a un nombre croissant de personnes âgées, mais il y a aussi la question de savoir comment notre vieillissement évolue et comment on peut l'améliorer. C'était donc aussi une histoire positive. L'un des sujets, c’est qu’on travaillera probablement plus longtemps. Or l'une des questions les plus fréquentes qu’on nous a posées c’est “d'où viendront les emplois si la technologie les détruit ?”

On entend cette histoire négative sur le vieillissement, mais il y a aussi une histoire très négative autour de la technologie. Nous nous sommes demandés comment on pouvait naviguer face à ces changements technologiques. D’autres personnes nous ont dit que 100 ans de vie, c'est très bien si on a les moyens. Et en effet, on observe des inégalités croissantes. Comment faire pour que cela ne soit pas une inégalité croissante, comment pouvons-nous y parvenir pour tous ? The New Long Life s'attaque à toutes ces questions.

À l'intersection entre la démographie et la technologie, on a la vision dystopique d’une société vieillissante et d’une technologie malfaisante. Mais comme nous l’écrivons, cette vision n’est en rien inévitable. Si nous vivons plus longtemps, en meilleure santé, et si nous avons les technologies intelligentes qui nous soutiennent, alors la question qui se pose est de savoir comment les utiliser pour améliorer notre vie. Il est important de s'assurer que nous sommes prêts au niveau individuel, mais aussi de commencer à exiger de nos institutions le soutien dont nous avons besoin pour que tout cela fonctionne pour les individus, pas seulement pour les entreprises et les gouvernements.

Nous traversons une période similaire à la révolution industrielle, où nous avons vu des changements profonds dans notre façon de vivre, dans la structure de nos familles et de nos ménages, et dans notre définition du travail. Il est essentiel que nous en soyons conscients. Il faut aider les gens à s’y préparer, mais aussi à se faire une opinion afin qu’on puisse construire un nouveau contrat social. 

Tous les moyens sont là. Nous vivons plus longtemps et en meilleure santé. Des machines plus intelligentes peuvent améliorer la qualité de notre travail à tous égards. Nous devrions être capables d'inventer de nouvelles insitutions. Si nous ne le faisons pas, nous risquons d'être confrontés à un avenir inquiétant.

Vous avez donc écrit deux livres avec Lynda Gratton. Il semble que vous formiez tous les deux une équipe très solide. En tant que lecteur, on se demande toujours comment deux personnes écrivent ensemble. Comment est cette équipe que tu forme avec Lynda Gratton ? Et comment travaillez-vous ensemble ?

Nous nous sommes rencontrés lors d'un voyage de la London Business School en Extrême-Orient, où nous faisions le tour du monde et donnions des conférences aux anciens élèves. Nous y étions ensemble et nous avions tous les deux cet intérêt pour le vieillissement de la société et la longévité. J'avais donné quelques conférences à l'école sur l'économie associée à une société vieillissante. Lynda avait le sentiment que les entreprises n'étaient pas préparées à ce qui allait se produire. Nous avons donc passé beaucoup de temps dans les avions et les aéroports et nous nous sommes dit : "Faisons quelque chose ensemble".

Cela a été stimulant. Nous sommes tous les deux très différents. Je suis économiste et Lynda est psychologue. Nous avons tous les deux des intérêts très vastes. Je lis beaucoup de livres d’histoire, de philosophie et de politique. En tant qu'économiste, je peux dire que l'une des principales qualités de Lynda est de ne pas être économiste. Elle peut soudain s'enthousiasmer pour une idée économique alors qu'un économiste qui la connaît déjà pourrait être obnubilé par des détails.

Lynda peut demander : "Qu'est-ce que cela signifie ?” Et réciproquement. Je pense donc qu'il est très amusant de réunir nos deux disciplines, d’en reconnaître les synergies et les complémentarités. Ensuite, je commence à écrire quelque chose. Et elle aussi de son côté. Nous avons des styles très différents. Puis nous échangeons et nous nous posons des questions sur ce que nous avons voulu dire. Ensuite nous faisons une nouvelle rédaction, puis encore une autre, jusqu'à ce que dans le produit final, il soit très difficile de dire qui a écrit quoi. Parfois, on peut le voir. C'est un processus collaboratif composé de nombreuses discussions. Être ouvert d’esprit, ça nous rend plus libres dans le processus de création. 

C'est probablement la raison pour laquelle c'est si agréable à lire, parce que cela reflète des points de vue et des approches différents. Cela se lit presque comme un roman. Tu as dit que tu as commencé à explorer le sujet il y a dix ans. Comment as-tu commencé à t’intéresser à la longévité et au vieillissement de la population? Comment es-tu devenu un expert sur le sujet ? 

Je suis macroéconomiste de formation. Pendant la majeure partie de ma carrière, je me suis intéressé aux cycles économiques, à la politique monétaire et à la politique budgétaire. J'ai été très occupé par la crise financière mondiale. J'ai fait partie du conseil d'administration de l'autorité de régulation britannique. Mais j'étais mûr pour m’attaquer à d’autres sujets. Au bout d’un certain nombre d’années, on se lasse un peu de la hausse ou de la baisse des taux d'intérêt.

Et puis j'ai toujours voulu avoir une vue d'ensemble sur les sujets. J'aime les grandes questions et les thèmes que l'on peut aborder en tant que macroéconomiste. Chaque année, je donnais un cours à la London Business School sur les problèmes et les perspectives de l'économie mondiale. Et l'une des conférences pourtait sur le vieillissement de la société. Et j’avais l’impression de ne pas aller assez loin sur le sujet, et d’en offrir une vision sombre et déprimante. 

L’une des grandes qualités de l'économie, c'est qu'elle est en fait très ludique intellectuellement. Mais sur le sujet du vieillissement, je ne trouvais rien d’intéressant intellectuellement. Tout ce que disaient les économistes, c’est regardez, il y a de plus en plus de personnes âgées et on aura un problème avec le paiement des retraites. 

À propos du fait qu’on vit plus longtemps et en meilleure santé, on produit tant de négativité. Mais n’est-ce pas une bonne nouvelle qu’on vive plus longtemps en meilleure santé ? Il s’agissait d’en finir avec ce décalage. 

Ça commence à se mettre en place aujourd’hui. Il était temps. La longévité, c’est plusieurs sujets : le fait de mieux vieillir, le changement de la structure de la population et ses conséquences sur les vies individuelles. Nous pouvons structurer notre vie différemment. 

C'est ainsi que je me suis lancé dans cette aventure. Pour moi, c'est une chose merveilleuse parce qu'il est difficile de trouver un autre sujet qui combine autant de choses incroyablement importantes. Quand je parlais des taux d’intérêt et du renminbi chinois, les gens ne sortaient pas de la conférence avec le projet de changer de vie. 

Mais le vieillissement et la longévité sont des sujets incroyablement intimes et profonds pour les individus. J'aime que ça parle autant aux gens. De plus, c'est un sujet social extrêmement critique. Tous les pays du monde ont un nombre croissant de personnes âgées suite à l’augmentation de l'espérance de vie qui s'est produite. C'est donc un défi économique et social considérable. Et enfin, j'aime la vue d'ensemble qu’apporte ce sujet. Cela fait intervenir des disciplines différentes, des sciences à la philosophie en passant par l'histoire, l'économie et la psychologie.

Mais nous sommes aussi très mal compris. C'est étrange pour un universitaire de trouver un sujet si important, mais souvent si mal représenté. Nous sommes un peu perturbés par l'âge. C'est la raison pour laquelle nous ne voyons pas certaines des opportunités qui l’accompagnent. C'est là l’intérêt de ma recherche. J'ai obtenu une subvention d'un million de livres sterling pour travailler sur les aspects économiques de la longévité. J'essaie maintenant de travailler sur la façon dont nous pouvons tirer le meilleur parti de vies plus longues et de faire en sorte que ces vies soient, autant que possible, plus saines et plus épanouies.

Tu as co-fondé un forum appelé le "Longevity Forum". Qu'est-ce que c'est exactement ?

Oui, je me suis retrouvé dans différents panels, notamment aux États-Unis, à parler de la longévité. Et j'y ai souvent participé avec un entrepreneur britannique du nom de Jim Mellon, qui croit fermement à la science de la longévité. Il y a de plus en plus de recherches scientifiques qui tentent de comprendre la dimension biologique du vieillissement. Intellectuellement, c'est fascinant. D’ailleurs, ces chercheurs rencontrent un certain succès. Nous nous retrouvons souvent à donner ces conférences ailleurs qu'au Royaume-Uni. Alors nous nous sommes dit que nous devrions faire quelque chose au Royaume-Uni.

Il y a beaucoup de gens formidables qui travaillent sur des sujets liés à cela au Royaume-Uni, mais on ne se concentre pas assez sur la longévité. Le vieillissement, ça a tendance à être considéré comme une question de fin de vie plutôt que de vieillesse. Nous voulons donc apporter un éclairage différent, en nous concentrant sur un récit positif, une opportunité à saisir, en nous appuyant évidemment sur The 100 Year Life, en réunissant la science et les sciences sociales.

Il faut aussi essayer de faire participer des gens qui ne sont pas particulièrement intéressés par le sujet, des politiques et des entrepreneurs. C'est l'objectif que nous nous sommes fixé pour notre troisième année. Nous avons de superbes podcasts, beaucoup d’événements en ligne. Il y a aujourd’hui beaucoup plus d'organisations au Royaume-Uni, qui organisent des événements et produisent des idées sur la longévité.

Cette idée qu'il y a des choses à faire pour mieux vivre et mieux vieillir gagne du terrain. La mission est donc vraiment de changer le récit collectif et de s’assurer qu'en tant que société, nous fassions en sorte que le plus grand nombre de personnes vivent le plus longtemps possible de la meilleure façon possible.

Tu aimes visiblement mélanger les disciplines. Est-ce parce que tu penses que l'ancienne approche académique des disciplines est trop limitative ?

Pour vraiment maîtriser un sujet, il faut aller en profondeur et se spécialiser. C'est pour cela que le monde académique s’est structuré de la manière dont il s’est structuré. Mais la longévité dépend de tant de choses différentes. Elle ne peut pas se limiter au domaine de la santé, parce que la longévité dépend en grande partie de ce que nous faisons dans l’économie et la société. Bien sûr, il doit y avoir une composante santé, mais pas uniquement.

La science se concentre sur la malléabilité de l'âge, mais c'est aussi ce sur quoi se concentre la science sociale. Il y a donc des thèmes communs. Mais oui, je suis convaincu que pour aborder la question de la longévité, il faut une approche pluridisciplinaire. C'est aussi un défi pour la politique, car nous avons tendance à penser séparément la santé, la retraite, le travail et l’éducation. Alors que toutes ces choses doivent se rejoindre. 

Oui, comme si la biologie n'avait rien à voir avec l'économie.

Exactement. Donc, comme je l'ai dit, il s'agit de mieux faire connaître le sujet, de reconnaître que le vieillissement et la démographie ne sont pas une fatalité, mais aussi l'importance de bien vieillir et de fournir un récit collectif différent. Nous sommes plutôt restés bloqués sur l'idée que l'allongement de la vie est un problème qui concerne uniquement les personnes âgées, mais ce n'est vraiment pas le cas.

Personnellement, j'oscille entre l'optimisme et le pessimisme quand je regarde ce qui se passe cette année. Et Lynda et toi semblez tenir pour acquis que cette tendance à la longévité se poursuivra encore et toujours. Il est vrai que nous avons gagné deux à trois ans d'espérance de vie chaque décennie depuis deux siècles. Mais depuis quelques années maintenant, nous traversons une période de changements importants, une période de volatilité et d'incertitude accrues avec, bien sûr, des pandémies, mais aussi le changement climatique et les catastrophes naturelles, le chaos politique et social, l'augmentation des inégalités. Cela ne met-il pas en péril la longévité ? Se pourrait-il que, dans certains pays, l'espérance de vie ne continue pas à augmenter ?

Absolument. Et en tant qu'économiste, je connais les dangers de la prévision de l'avenir. Oui, toutes ces choses dont tu as parlé font peser des menaces et il est clair que 2020, avec le COVID-19, n'est pas une bonne année pour parler d'amélioration de l'espérance de vie. Je pense qu'au Royaume-Uni et aux États-Unis, lorsque le gouvernement publiera l'année prochaine ses statistiques sur l'espérance de vie normale, qui sont appelées “period measure”, elles montreront une forte baisse par rapport à cette année. Je pense que c'est temporaire – je l'espère !

En fait, je ne pense pas qu'un enfant né aujourd'hui verra son espérance de vie affectée par le COVID-19. Mais il est évident que plus on est âgé, plus il y a un risque, donc il y a beaucoup de façons d'aborder cette question. La première est : quelle est la tendance future ? Et il y a un document célèbre intitulé “Broken Limits to Life Expectancy” qui dit simplement que l’espérance de vie augmente de deux ou trois ans tous les dix ans.

Ce document dit aussi qu’on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve. Mais nous savons que dans le passé, tout le monde disait que cela ne pouvait pas continuer ainsi, or cela a continué. Donc, comme tu vois, dans un sens, cette tendance est une bonne chose. Toutes sortes de choses sont possibles. Dans le passé, nous avons toujours sous-estimé les gains futurs. Et il y a un graphique dans The New Long Life qui vous montre les projections du gouvernement britannique en matière d'espérance de vie qui ont toujours dit, en quelque sorte, “oh, ça va se stabiliser, ça va se stabiliser”. Or ce n'est pas le cas !

Je pense cependant qu'il y a un argument légitime à faire valoir, qui dit que lorsqu’on réduit la mortalité infantile ou qu’on fait disparaître les maladies des jeunes adultes, on obtient une croissance plus rapide de l'espérance de vie. Mais maintenant, la plupart des gains d'espérance de vie vont provenir de personnes âgées de 70, 80 et 90 ans. Tout le monde pense que l’augmentation de l’espérance de vie va ralentir dans les plus riches, à moins d’assister à des progrès spectaculaires en matière de biologie du vieillissement. On pourrait avoir des gains, mais à un rythme plus modeste.

Et cela semble une position éminemment sensée. Je pense que si on regarde les tendances dans le monde, Hong Kong nous donne la nouvelle frontière de l’espérance de vie. Là-bas, elle augmente en effet encore de presque deux ans tous les dix ans ! Et bien que les statistiques COVID de Hong Kong se détériorent ces derniers temps, cette région n’a pas été confrontée au même choc que le Royaume-Uni et les États-Unis en termes de mortalité. Je ne pense donc pas que leur espérance de vie soit aussi affectée que celle d'autres pays.

Et je pense que cela revient à cette question clé, qui est que si l'âge est malléable, alors les choses peuvent s'améliorer ou s'aggraver. Et si vous regardez la détérioration aux États-Unis, qui provient d'un groupe démographique très spécifique, ou le ralentissement qui s'est produit au Royaume-Uni, qui est encore une fois fortement attribué à ce qui se passe aux niveaux des ménages à faibles revenus, cela suggère que, oui, ce processus n'est pas automatique. Et si l'âge est malléable, alors on peut faire des choses pour améliorer la situation ou au contraire l’aggraver.

Pour moi, cela est évidemment lié à toute la question du COVID, car il a été démontré que le Royaume-Uni et les États-Unis ne sont pas très bons pour assurer la bonne santé des personnes âgées dans le contexte de la pandémie.

Oui, les sociétés les plus inégales n'ont pas si bien géré la situation.

Et c'est aussi ce que nous avons constaté dans les tendances de l'espérance de vie de ces dernières années. Donc, oui, rien de tout cela n'est automatique. Nous devons y travailler. Mais le fait même que l’espérance de vie ait diminué pour moi montre que ce n'est pas automatique et que nous devons donc faire quelque chose. Le changement climatique, les pandémies : tout cela a un impact sur l’espérance de vie. L'histoire n'est jamais facile. Et le changement climatique, je pense que c'est évidemment une préoccupation.

Nous savons, en particulier, que l'environnement aura un impact sur la santé des gens. C'est compliqué. Vous savez, certaines personnes meurent aussi bien de la chaleur que du froid. Donc, vous savez, tout cela devient assez compliqué en termes de changements nets et cela dépend de l'endroit où vous vivez, etc. Mais nous devons continuer à investir dans notre avenir pour faire en sorte que le plus grand nombre possible de personnes puissent vivre le plus longtemps possible. Mais si nous l'ignorons, alors cela ne se produira pas.

En revanche, si nous en sommes conscients, il est possible de faire quelque chose.

Face à l'incertitude, notre meilleure option est donc de nous préparer à une plus grande longévité. Même si cela n'arrive pas pour d'autres raisons, c'est quand même la meilleure chose à faire, n'est-ce pas ?

C'est la meilleure chose à faire, bien sûr ! Je ne veux pas suggérer la longévité pour la longévité, mais je veux dire que l'un des défis à relever est que la plupart des gens ne connaissent pas les statistiques sur l'espérance de vie. Les gens ont tendance à considérer leur longévité en se basant sur deux éléments d'information. L'une est celle de leurs grands-parents, les parents de leurs parents. Mais si l'espérance de vie s'améliore, il est évident que le fait de se baser sur les grands-parents est une sous-estimation. Autre chose : les statistiques gouvernementales.

Mais les gouvernements ont tendance à se concentrer sur l'espérance de vie en période unique, ce qui revient à dire qu'un enfant né aujourd'hui vivra toute sa vie aujourd'hui. Leur espérance de vie est donc limitée par ce qui arrivera aux enfants de huit ans en 2020. Bien sûr, l'enfant né aujourd'hui aura 80 ans dans 80 ans. Il aura probablement un meilleur taux de survie. Ainsi, les statistiques les plus publiées sur l'espérance de vie, les mesures de la période que les gens regardent, sous-estiment l'espérance de vie à chaque instant.

Ainsi, au Royaume-Uni, les statistiques gouvernementales qui extrapolent les tendances indiquent que la majorité des enfants nés aujourd'hui atteindra l’âge 90 ans et qu'environ un sur cinq sera centenaire. Et c'est une hypothèse assez conservatrice. Je pense donc que nous avons tendance à sous-estimer la longévité actuelle, sans parler de ce qui pourrait ou ne pourrait pas devenir.

C'est exact. C'est ce que la plupart des gens ne savent pas, qu'en fait nous devons considérer l'espérance de vie d'un homme de 50 ans aujourd'hui ou d'un homme de 60 ans aujourd'hui. Et c'est ce que vous expliquez dans vos deux livres, je pense que dans le premier aussi, nous avons besoin de mesures différentes. Et ce n'est pas quelque chose que la plupart des gens connaissent. Nous avons tendance à prendre cette espérance de vie moyenne à la naissance comme le seul chiffre qui signifie quelque chose, mais ce n'est pas le cas.

Et le danger que cela implique, de sous-estimer ainsi la durée de sa vie, en moyenne (et les moyennes sont trompeuses ici) c’est de ne pas assez préparer son avenir. Et le risque est que vous n'ayez pas les moyens financiers, que vous n'ayez pas les compétences pour vivre une vie aussi longue. Donc, pour moi, la vie de 100 ans, c'est... vous savez, qui sait quels progrès scientifiques peuvent se présenter. Elle pourrait simplement continuer à extrapoler cette tendance extraordinaire des 130 dernières années, selon laquelle chaque décennie, l'espérance de vie augmente de deux ou trois ans.

Mais je pense que même pour s'adapter à la réalité que nous avons aujourd'hui, comme dans la plupart des pays riches où la majorité des enfants nés aujourd'hui vivront jusqu'à 90 ans et une minorité importante jusqu'à 100 ans ou plus, nous ne sommes pas préparés à cela.

C'est drôle parce qu'au niveau individuel, nous pensons que sous-estimer n'est pas une si mauvaise idée parce qu'alors vous n'avez pas de trop grandes attentes, et vous ne serez pas déçu ou quelque chose comme ça. Mais d'un autre côté, vous ne planifiez pas assez votre avenir.

Je veux dire que l'une des choses qui m'intéressent de plus en plus est le concept d'assurance-vie. Au XXe siècle, l'assurance-vie est devenue très importante, beaucoup de gens sont morts dans la vingtaine, la trentaine et la quarantaine, et tous ces gens voulaient faire en sorte de pouvoir laisser quelque chose à leur famille. Or aujourd'hui, la plupart des gens vivent jusqu'à 70 ou 80 ans, et ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Il ne s'agit donc plus d'une assurance vie, mais d'une assurance longévité. Vous devez vous inquiéter du risque de vivre plus longtemps que vos finances, plus longtemps que votre santé, vos compétences, votre relation et votre but.

Oui, c’est ça le défi de vivre jusqu’à 100 ans ! Mais comment faire ? Comment m'assurer que je ne cours pas ce risque de longévité ou que je n'échappe pas à la vie ? Parce que ce n'est pas une bonne situation. Existe-t-il de nouveaux produits d'assurance et des produits financiers qui répondent à ce nouveau besoin, l'assurance longévité, y a-t-il une société quelque part qui pourrait offrir quelque chose à cet égard ?

Pas vraiment. Je pense que c'est un espace qui va donner lieu à beaucoup d’innovation dans les prochaines années. D’ailleurs, on assiste à une augmentation de ce que l'on appelle les rentes à revenu différé : à 65 ans, quel que soit l'âge de la retraite, on commence à mettre un peu d'argent de côté et cela se transforme en un revenu lorsque vous atteignez l’âge 85 ans. Ce type de produit commence à être un peu plus populaire, mais ce n’est pas non plus si à la mode.

Je pense que davantage de produits financiers seront commercialisés parallèlement à une sorte d'annexe sanitaire, ce qui, à mon avis, sera une énorme tendance. On voit donc certaines compagnies d'assurance proposer des polices d'assurance où l'on obtient un tarif plus bas si l'on s'inscrit à la salle de sport, en liant la forme physique et la santé au produit. Il y a donc une partie de ce phénomène qui se produit. Mais je pense que ce sera un immense espace, l'un des plus grands marchés émergents du monde, car à mesure que les gens vieillissent – et je fais des recherches à ce sujet avec un chercheur de l’université d'Oxford et David Sinclair de Harvard – il s'agit de plus en plus de valoriser le vieillissement en bonne santé.

Et bien sûr, c'est un défi considérable. On s'intéresse beaucoup au vieillissement de la société et aux produits dont les personnes âgées ont besoin, mais le produit le plus précieux est de bien vieillir. Je pense donc que nous allons assister à une croissance massive des produits – financiers, de santé, de loisirs, éducatifs – tous destinés à favoriser un vieillissement en bonne santé, car cela va devenir incroyablement important.

Intéressant. Paradoxalement, l'une des raisons pour lesquelles il y a si peu de produits de ce type est peut-être que, premièrement, les gens sous-estiment ce qui se passe ; et deuxièmement, les gens ne sont pas si intéressés que ça, mais pourquoi ? Et troisièmement, ils ne veulent pas vraiment se préoccuper de la vieillesse. Comment expliques-tu ce paradoxe ? Plus nous vieillissons en tant que société, tant en moyenne qu'au niveau individuel, plus nous devenons âgistes. Quand je dis nous, je ne veux pas dire toi et moi !

C’est une question très intéressante ! Et je pense que c'est une excellente façon de la poser.

Je pense que ce qui se passe est la chose suivante. Nous sommes habitués à avoir beaucoup de jeunes et peu de personnes âgées. Or le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans, de plus de 80 ans, de plus de 100 ans augmente partout dans le monde et très rapidement.

Et nous nous sommes un peu embrouillés, je pense, à propos de l'âge au XXe siècle. Si on remonte au XIXe siècle, il y a eu une augmentation de l'alphabétisation et un accroissement de la bureaucratie gouvernementale et de la tenue de registres, et cela a certainement mis l'accent sur les certificats de naissance et l'âge chronologique. Et nous avons commencé à mesurer l'âge chronologique en fonction de votre date de naissance, par opposition à une sorte d'âge biologique et de santé. Nous avons donc commencé à segmenter la société sur la base de l'âge chronologique.

Un fait bien connu est que c’est à cette époque-là qu’on a défini 65 ans comme un âge avancé ouvrant droit à l'obtention d'une pension. Et je pense que nous constatons maintenant que de plus en plus de gens ont plus de 65 ans parce que les gens vivent plus longtemps en moyenne, qu'il y a plus de gens âgés de 60 ans parce qu'en moyenne, les gens sont en meilleure santé plus longtemps, et que 70 ans est le nouveau 65, comme le veut le cliché. Nous voyons donc de plus en plus de gens se heurter à nos stéréotypes, des stéréotypes dépassés. Et on commence à voir des personnes de 70 et 80 ans qui font des choses auxquelles on ne s'attendait pas auparavant.

Mais je pense que cela revient aussi à cette malléabilité ; parce que l'âge est malléable, ce qui caractérise vraiment le vieillissement, c'est la diversité. Et comme il y a de plus en plus de personnes âgées de plus de 65 ans, on peut observer cette diversité. On voit des sexagénaires qui courent littéralement le 100 mètres en un temps tout à fait respectable et d'autres qui ont la soixantaine, qui sont handicapés et en fauteuil roulant. Et cela ne fait que heurter les préjugés par rapport à qui sont les personnes âgées.

Mais je pense que le type d'âgisme contre lequel nous nous battons, c'est la façon dont le récit social change. Au début, avec COVID, un certain nombre de personnes disaient qu'il ne fallait pas donner de ressources médicales aux personnes de plus de 65 ans parce qu'il ne leur restait plus beaucoup d'années à vivre. C'est une vision datée.

Ensuite, on a commencé à voir une sorte de débat, dans lequel on s’est dit qu’il restait probablement à ces gens une vingtaine d'années de vie. Mais la réalité, c’est qu’à 65 ans, on peut être en bonne santé ou en mauvaise santé. Et on commence à voir que les stéréotypes sont remis en question, ce qui est, je pense, une bonne chose.

Je vais donc essayer de donner une tournure positive à tout cela. Mais oui, je pense que le nombre de personnes qui atteignent un âge avancé et qui vivent différemment est en contradiction avec ces hypothèses dépassées. Et pourquoi y a-t-il ces hypothèses aujourd'hui ? Parce que jusqu’à aujourd’hui nous avons mesuré l'âge chronologiquement. Mais si on fait le constat que l'âge est malléable (ce qui est à mon avis le grand secret du XXe siècle), que nous pouvons fait en sorte que les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé, alors notre vision des choses change radicalement.

Et oui, c'est le cas, je pense que la prochaine grande partie de l'agenda de la diversité. Nous avons fait des progrès dans divers domaines concernant le sexe, la race et la sexualité. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir en ce qui concerne l'âge.

Sans conteste ! Ce nouvel accent sur l'âge chronologique est venu avec la révolution industrielle. En gros, c'est la même chose que la façon dont nous avons commencé à mesurer le temps d'une manière différente qui n'avait rien à voir avec les saisons et le temps physique, mais plutôt avec l'horloge, tout d'un coup, à cause des chemins de fer ou de choses comme ça.

Mais il y a aussi une façon plus positive de voir les choses. En raison des certificats de naissance et de l'âge chronologique, les institutions publiques ont commencé à fournir des services à des masses de personnes. Le seul problème, c’est qu’elles ont organisé tout cela de manière à fournir ces services à des groupes de personnes du même âge. Ainsi, l'éducation était conçue avec des classes d'enfants réunies parce qu'elles avaient le même âge et la protection sociale était conçue autour de trois étapes de vie et de formation et tout cela, de sorte qu'à chaque âge correspondait une étape.

Mais n'est-ce pas aussi, et c'est plus positif, parce que beaucoup de choses qui n'étaient pas uniformément réparties au XXe siècle sont devenues beaucoup plus démocratiques, et que la mesure de l'âge chronologique a rendu cela possible.

Oui, et il y a toujours eu un certain arbitraire dans le choix de l'âge de 65 ans, bien sûr.

Mais oui, je pense que c'est vrai. Et je pense que lorsqu'il y a moins de personnes et probablement moins de diversité chez les personnes âgées, alors on peut utiliser l’âge chronologique comme un critère pour cibler certaines prestations. Je pense que le défi auquel nous sommes maintenant confrontés, c'est que si on analyse les données, en gros, on constate que les personnes âgées sont confrontées à de fortes inégalités : celles qui ont plus de revenus et plus de ressources vieillissent mieux que celles qui ont moins de revenus. Mais à mesure que l'on vieillit, cet écart se réduit, en supposant que les personnes à faibles revenus atteignent cet âge.

Il y a donc toujours une sorte de course de fin de vie avec le temps, les gens commencent à se ressembler un peu par-delà les différences en termes de revenus. Mais par exemple, je parle à de nombreuses entreprises qui examinent les données de leurs clients et qui passent à des intervalles de cinq ans, vous savez, 16-20, 21-25, et puis vous atteignez 65 ans et c'est 65+.

Il serait absurde de se dire que le marché des moins de 65 ans est homogène, que tous les moins de 65 ans ont les mêmes besoins. A ce sujet, la retraite a été une invention fantastique : elle a consisté à donner aux personnes en “fin de vie” une indépendance et une sécurité financières, ce qui a rendu cette population si homogène à nos yeux, malgré les différences évidentes entre les uns et les autres.

L'idéal serait de ne pas avoir de personnes qui vivent une vie courte. Nous devons donc amener tout le monde à un âge plus avancé. Mais nous devons ensuite commencer à penser, comme nous le faisons lorsque nous pensons au marché du travail pour les personnes de 40 ou 50 ans, que ces gens ne sont plus les mêmes. Et qu'ils ont des raisons différentes de travailler dans des circonstances différentes. Ainsi, sur le marché des plus de 65 ans, certaines personnes travaillent parce qu'elles ont juste besoin d'argent, d'autres parce qu'elles ont besoin d'un but, elles n'en ont pas besoin financièrement.

Mais c'est un peu la même chose que ce que vous allez obtenir à tous les stades du marché du travail. Nous devons donc commencer à traiter de plus en plus de gens comme si le plus important n'était pas qu'ils soient vieux. C'est juste qu'ils sont des gens. Le défi consiste donc à s'assurer que nous apportons le soutien nécessaire pour relever les défis qui se présentent avec l'âge, tout en offrant la flexibilité nécessaire pour tenir compte de circonstances individuelles très différentes. Et je pense que c'est ce que nous devons équilibrer, parce qu'il est clair que les premières tentatives de cette révolution, qui a été très réussie, ont simplement utilisé l'âge chronologique pour le faire.

Oui. Ce qu'il nous faut pour relever ce défi, comme tu le dis, c'est de l'ingéniosité sociale. Et comme tu l’écris – et je trouve cela fascinant – nous sommes assez bons en matière d'ingéniosité technologique, mais pas tellement en matière d'ingéniosité sociale, et le fossé entre les deux s'élargit. Cela concerne la société, nos institutions, les pouvoirs publics, etc. Peux-tu nous expliquer un peu plus en détail ce que tu entends par “ingéniosité sociale” et ce que nous pouvons faire pour y parvenir ?

Oui, la version officielle est qu'en tant qu'humains, nous avons cette remarquable histoire d'augmentation de notre niveau de vie. Nous vivons plus longtemps, nous sommes en meilleure santé, nous avons plus de ressources. Et ce n'est pas un simple processus linéaire. Il y a toutes sortes de défis à relever. Mais nous sommes plutôt doués pour l'innovation et la connaissance, et nous avons l'ingéniosité technologique, de nouveaux outils. Nous l'avons fait avec la révolution industrielle, avec la mise au point des premières machines à vapeur.

Le problème, c'est que lorsque nous parvenons à cette rupture technologique, nous n'essayons peut-être pas de l'exploiter de manière à ce qu'elle soit bénéfique pour la société. Au contraire, à mesure que les usines se développent, les gens commencent par souffrir de plus en plus. Ils quittent les communautés traditionnelles de la campagne pour s'installer dans les villes. Ils ne connaissent personne. Ils sont exploités au travail. Même les enfants travaillent dans des conditions difficiles, or ce n'est pas là une façon de fonctionner pour la société dans son ensemble. Ce à quoi on aboutit, c'est une sorte de mouvement de réaction de la société civile, qui exprime le sentiment suivant : “Bien sûr, nous comprenons l'avantage économique de tout cela, mais nous avons aussi besoin de jours fériés, de retraite, d'horaires de travail restreints, de sécurité sociale, de clubs et de loisirs, pour tirer le meilleur parti de tout cela”. C’est à ce stade que la société commence à faire preuve d'ingéniosité sociale. 

Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ? Avec le vieillissement de la société, nous avons réalisé des avancées considérables en termes de vie plus longue et plus saine, mais nous n'avons pas encore fait l'innovation sociale pour cela. Nous devons changer les modèles de comportement. Dans The 100-Year Life, je parle beaucoup de l’adolescence, un concept inventé au XXe siècle. Avant l’invention de l’adolescence, la population était divisée entre les enfants et les adultes, mais nous avons inventé l’adolescence pour signaler qu’il y avait une phase de transition entre les deux. Et il a fallu un certain temps pour comprendre ce qui devait occuper les gens à l’adolescence.

La première version, je pense, était le mouvement du scoutisme, avec cette idée qu’il fallait mettre les gens en uniforme, leur donner un peu de discipline. Mais ce n'était pas vraiment ce que nous voulions des adolescents. Et finalement, nous nous retrouvons avec ce que nous connaissons aujourd'hui. Mais il a fallu 50 à 60 ans de pratique pour en arriver là.

Aujourd’hui, il se passe la même chose avec les technologies mises au point dans la Silicon Valley. On en vient à penser que “les machines sont intelligentes, les humains sont imparfaits. La technologie doit donc contribuer à résoudre tous les problèmes”. Tout cela relève de l'ingéniosité technologique plutôt que de l'ingéniosité sociale. Or ce que nous devons faire à présent, c'est nous demander comment utiliser cette technologie pour améliorer notre vie, à la fois en tant que clients des entreprises numériques et en tant que membre de la population active.

Et il existe d'énormes possibilités pour y parvenir. Et c'est ce que j'entends par "ingéniosité sociale", c'est-à-dire changer nos comportements et nos pratiques pour tirer le meilleur parti des nouvelles possibilités offertes par l'ingéniosité technologique. Mais à l'heure actuelle, je pense qu'aussi bien en ce qui concerne le vieillissement que la technologie, l'agenda n'est pas vraiment poussé, ni par les individus, ni par la société civile dans son ensemble. Or c’est cela qui est essentiel.

Oui, c'est ça. Nous avons donc besoin d'un nouveau filet de sécurité pour ce nouveau paradigme. Par exemple, nous avons ce système qui définit le chômage d'une manière qui a été définie dans les années 1920 comme un phénomène qui n'est pas choisi, qui se produit à cause d'un choc économique ou quelque chose comme ça. Et maintenant, nous devons créer un filet de sécurité pour les transitions qui peuvent être volontaires ou involontaires, par exemple, c'est quelque chose sur lequel nous écrivons beaucoup, Nicolas et moi.

Nous avons également besoin d'un nouveau système d'éducation pour l'apprentissage tout au long de la vie. D'après ce que tu observes dans le monde, y a-t-il vraiment des idées et des politiques prometteuses qui sont mises en œuvre quelque part dans le monde ?

C’est une question difficile. La réponse est non. Et nous constatons tous les tensions à l’oeuvre dans les sociétés du monde entier, exacerbées par le COVID. Notre système actuel d'éducation, de pensions, de soins, de foyers, de système d'aide sociale est en difficulté et il l'était auparavant. Il est facile de deviner les tensions politiques qui en découlent, les inégalités qui s’accroissent. Il faut donc que les choses changent. Je pense qu'elles sont en train de changer. Je pense qu'il y a beaucoup de changements dans les comportements individuels, certains changements au niveau des gouvernements et un peu au niveau des entreprises.

Si je peux à nouveau donner l'exemple de la révolution industrielle, il faut du temps pour faire le tri. Tout d'abord, il faut reconnaître le problème. Deuxièmement, il faut avoir une bonne idée de la manière d'améliorer le problème. Enfin, on peut s’atteler à changer les institutions. Cela prend donc beaucoup de temps. L'ingéniosité sociale, c'est beaucoup d'innovation et d'expérimentation, je pense, dans un premier temps, et nous le constatons tous les jours autour de nous.

Nous voyons par exemple, dans le monde entier, de plus en plus de personnes travailler plus longtemps. Nous assistons à une véritable explosion, à partir d'une base modeste, de toutes sortes de possibilités d'éducation pour les personnes âgées, souvent offertes en dehors des établissements d'enseignement. 

Pour prendre un exemple que tout le monde connaît, celui de Singapour, la structure de sa population y a changé de manière radicale. La population y vieillit à toute vitesse ! Les autorités s’interrogent donc : comment faire pour que les gens restent en bonne santé, heureux et actifs ? Si vous les gardez actifs et en bonne santé, alors non seulement ils sont heureux individuellement, mais l'économie en profite davantage. Il y a donc beaucoup d'initiatives dans ce domaine. 

Nous devons a présent regarder autour de nous et nous inspirer de toutes ces expérimentations. Par exemple, en matière d'éducation des adultes, Singapour accorde une subvention à tous les citoyens pour qu'ils la dépensent chaque année afin d’apprendre des nouvelles choses. Je pense que c'est une initiative intéressante. Et je pense qu'au Royaume-Uni, un programme similaire a été suggéré. Il sera mis en place pour ceux qui n'ont pas fait d'études supérieures, ce que je trouve fantastique. Donc, oui, je pense que cette approche expérimentale commence à se concrétiser.

Penses-tu que la pandémie va accélérer cette transition et nous pousser à expérimenter encore plus, ou penses-tu que ce ne sera pas le cas, que ce sera en fait tout le contraire ? Parce qu'il y a l'idée que nous aurons plus de dettes et que nous ne pourrons pas nous le permettre, et ce sera une raison de plus pour ne pas faire tout ce que nous devons faire. Selon toi, quel est l'impact probable de la pandémie sur cette ingéniosité sociale ?

Oui, nous n'en avons évidemment pas encore fini avec le COVID et ses implications, nous avons encore un long chemin à parcourir. Je pense que COVID est cet énorme choc multidimensionnel. Je travaille dans une école de commerce et j'en ai assez d'entendre les gens parler de disruption. COVID nous a certainement appris le vrai sens du mot “disruption” : pour le coup, tout a été vraiment disrupté ! Mais je pense plutôt, pour ma part, que c'est un accélérateur et que cela a accéléré un certain nombre de tendances. Celles qui m'intéressent le plus, évidemment, sont le vieillissement et la technologie.

Et le COVID est comme une forme virale de vieillissement. Cette maladie soulève de plus en plus la question du vieillissement de la société. Nous avons dû presque fermer l'économie pour protéger la vie des gens et celle des personnes âgées.

Oui, la première pandémie qui touche les personnes âgées beaucoup plus que, par exemple, les très jeunes.

Exactement. Nous avons donc découvert que nous ne pouvons pas avoir une économie saine sans une population saine et que lorsqu'on a des personnes âgées, une population saine consiste à garder les gens hors de l'hôpital plutôt que de les traiter à l'hôpital. Je pense donc qu’on va assister à une accélération de la prévention en matière de santé. Et j'espère que les gens le reconnaîtront. Mais aussi, je pense que je peux voir une plus grande utilisation de la technologie et de l'assistance à distance et des contacts avec les médecins, ce qui pourrait vraiment être une bonne chose.

Il est clair que le progrès technologique fait aussi l’objet d’une accélération. Il y a plus de gens qui travaillent à domicile, plus de gens qui utilisent la technologie pour travailler à distance. Et nous entendons beaucoup parler de la disparition du bureau, je pense que nous allons assister à une certaine remise à niveau – un grand coup de pouce pour travailler de manière plus flexible. Je pense que nous avons trouvé des moyens de tirer le meilleur parti de la technologie. Comme nous en avons discuté au début, elle est encore limitée dans certains domaines et excellente dans d'autres. 

Mais nous allons aussi revenir à certaines des anciennes méthodes. Je pense que le défi que nous avons à relever est de savoir si nous sommes prêts à le relever. Nous avons toujours parlé du travail flexible comme d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Je ne suis pas sûr que pour beaucoup de gens en ce moment, avec des meetings sur Zoom toute la journée et une vie de famille, cet équilibre entre vie professionnelle et vie privée soit atteint. Mais lorsque nous parlons de la nouvelle vie, il s'agit d'un type différent d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

L’enjeu n’est plus d’équilibrer ces deux moments distincts, celui où je suis au bureau et celui où je suis à la maison, mais plutôt de s’adonner au jonglage. Donc, oui, je pense que cela a accéléré les choses. Je pense que cela a également accéléré divers problèmes. Ainsi, par exemple, certaines personnes sont ravies de pouvoir travailler chez elles car il est devenu plus facile de séparer son travail de son lieu de travail. Je pense que nous devons probablement nous inquiéter un peu à ce sujet, car je pense que beaucoup d'entreprises vont commencer à externaliser leur travail vers des pays beaucoup moins chers. Il y aura aussi des réactions négatives à ce sujet.

Le COVID donc un accélérateur, mais c'est aussi une mise à l’épreuve. Il a révélé quelles personnes peuvent bénéficier de cette transition et quelles autres ne le peuvent pas. Il est évident que plus les gens ont fait d’études supérieures, plus leur revenu est élevé et plus il est facile de travailler à distance. Mais pour un grand nombre de personnes, ce n'est tout simplement pas une option. Donc, si cela accélère aussi certaines des politiques correctives pour qu'elles soient plus inclusives, alors c'est très bien. Je pense que ta remarque sur le fait que l'augmentation de la dette publique et la diminution de la croissance économique sont mauvaises est très bien prise en compte.

La seule chose qui me rassure, c'est que même avant cette crise, la croissance économique n'était pas très forte. Et, vous savez, je pense que cela va rendre une société vieillissante ou une société vieillissante en bonne santé encore plus importante, parce que s'il n'y a pas beaucoup de croissance, alors nous devons nous assurer que nous gardons le plus de personnes possible au travail aussi longtemps que possible, de manière aussi productive que possible. J'espère donc que les gouvernements commenceront à se demander d'où peut provenir la croissance.

D'accord, nous avons la technologie, d'accord, nous avons une économie verte. Mais comment tirer le meilleur parti de cette société vieillissante ?

Intéressant. COVID a également révélé les lignes de fracture dans notre société entre les personnes qui peuvent travailler à domicile et celles qui doivent aller travailler à l'extérieur, entre celles qui ont de mauvaises conditions de logement avec beaucoup de monde et celles qui ont de plus belles maisons et plus d'espace, et beaucoup d'autres lignes de fracture.

Et fondamentalement, ma prochaine question est la suivante : nous parlons beaucoup de moyenne, mais cette période remet plus que jamais en question l'idée même de moyenne, car elle est de moins en moins pertinente dans un monde de plus en plus inégalitaire. Et même en ce qui concerne les années de vie, la répartition est de plus en plus inégale. Et tu écris aussi dans ton livre que les riches vivent effectivement plus longtemps et en meilleure santé, mais que les pauvres ne vivent peut-être pas autant.

Et dans certains pays, nous avons parlé des États-Unis, mais dans une certaine mesure, du Royaume-Uni, surtout par rapport à l'Allemagne ou à l'Europe du Nord, l’espérance de vie des moins privilégiés peut même, eh bien, stagner ou diminuer. Le fossé se creuse-t-il vraiment au niveau mondial ? Et avec un écart plus important, quelles autres questions devrions-nous nous poser ?

Oui, l'accroissement des inégalités suscite de grandes inquiétudes. Nous savons que les inégalités vont décroissant à l'échelle mondiale, les pays pauvres rattrapant en moyenne les pays riches. Mais nous savons aussi que dans de nombreux pays – pas tous – les inégalités s’aggravent. Tu as mentionné les États-Unis, où l’on observe certaines des pires tendances en matière d'inégalités, en particulier dans le domaine de la santé. Et il semblerait que le COVID va aggraver la situation. Je pense que nous assistons également à un début de réaction politique contre cette tendance.

Il sera intéressant de voir à quel point cela se poursuivra après la pandémie. Je pense que dans une certaine mesure, il y a une sorte de menace commune que tout le monde ressent à cause du COVID, même si la réalité est très inégale. Et je pense que cela contribue à soutenir les mesures de réduction des inégalités. L'autre chose qui est intéressante à mes yeux, c'est la technologie et son évolution (et nous en parlons dans le livre, qui a bien sûr été écrit avant la pandémie), mais si le lieu de travail devient moins important, en termes de bureau ou d'endroit où vous vous rendez, alors la communauté locale et le foyer deviennent beaucoup plus importants. Et je pense que c'est ce que nous constatons. Et évidemment, tous les territoires ne bénéficient pas d’une grande mixité sociale. Mais je pense que ce sentiment d'avoir, en fin de compte, un grand soutien communautaire nécessaire pour que nous puissions fonctionner en tant que société, pourrait être l'un des points positifs qui ressortent de COVID.

Et dans The 100 Year Life, nous parlons de l'importance des relations. Si notre vie est plus longue et nos carrières se décomposent en des étapes plus nombreuses, alors notre travail à un moment donné sera beaucoup moins important pour notre identité et plus transitoire. Il devient donc très, très important, dans ces conditions, de penser à la communauté et au foyer. Si nous faisons cela, je pense que nous pourrions commencer à voir certains changements en ce qui concerne l'inégalité. L'inégalité comporte de nombreuses couches et dimensions, différents groupes souffrent de différentes manières.

Je pense que si tu regardes, par exemple, les problèmes dans les maisons de retraites, ce que l’on constate, c'est que ceux qui sont politiquement privés de leurs droits ne se font pas assez entendre. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes confrontés à ces inégalités qui s’aggravent. La question est donc de savoir comment faire en sorte que davantage de voix soient entendues.

Et je pense que c'est le défi que nous avons déjà relevé, par le passé, avec la révolution industrielle. Il y a eu beaucoup d'agitation politique. Mais en fin de compte, je pense qu'elle a réussi parce que deux choses ont été réalisées. La première, c'est que chacun ait le sentiment de tirer un certain avantage économique du changement. Ainsi, si nous assistons à un changement technologique, ce ne sont pas seulement les propriétaires d'Amazon qui en bénéficient, mais tous les autres qui en tirent un certain bénéfice. Et deuxièmement, pour que nous puissions avoir une sorte de voix dans le processus politique. Si vous pouvez réunir ces deux éléments, alors je pense que non seulement le changement est égal, mais que la politique est harmonieuse.

Bien sûr, pour que ces deux choses se produisent, la politique doit être assez bruyante et divisible. Les gens se forcent à se faire entendre. Nous traversons donc certainement cette phase bruyante et conflictuelle de la politique.

Il n'est pas impossible que nous assistions à une révolution.

Oui, absolument. Je veux dire, il est clair que la vie politique va devenir plus stressante et plus chaotique.

Mais je pense que c'est une question d'enjeu, car si nous revenons à ce fossé entre l'ingéniosité technologique et l'ingéniosité sociale, nous devons nous assurer que les changements fonctionnent pour les gens dans leur ensemble. Pour moi, le défi sera de savoir comment la société civile se rassemble pour exprimer son point de vue. Parce qu'avec la révolution industrielle, nous avons eu le mouvement ouvrier, nous avons eu la formation de certaines grandes organisations caritatives, et c'étaient des sortes de grandes organisations qui ont amplifié l’opinion publique et ont contribué au débat.

Il n'est pas totalement évident pour moi de savoir où ils émergent aujourd'hui, étant donné la faiblesse actuelle des syndicats et le fait que les réseaux sociaux semblent être des facteurs de division plutôt que d’unité.

Ma dernière question se situe encore une fois au niveau individuel et en particulier la question que se pose chaque parent, que pouvons-nous faire pour nos enfants ? Tu es toi-même père de trois enfants. Ton travail a-t-il eu un impact sur les choix que tu as faits ou que tes enfants ont faits dans leur vie et leur éducation ? Tu dis qu'il est important d'apprendre à apprendre, n'est-ce pas ? Mais comment faire ? Comment aider nos enfants à y parvenir ?

Oui, c'est intéressant. Honnêtement, je n'ai aucune idée de si mon travail a influencé mes enfants et je ne pense pas que je leur demanderai. Ils sont assez âgés maintenant – 28, 25 et 21 ans.

Et à mesure qu'ils prennent de l’âge, je parle davantage de ces questions avec eux. J'ai certainement appris d'eux. Et en fait, une partie de l'inspiration de The 100-Year Life, c’était mes attentes en tant que parent sur ce qu'ils devraient faire et ensuite voir ce qu'eux et leur groupe de pairs faisaient, et reconnaître que tout comme je faisais les choses à un moment différent de celui de mes parents, ils le faisaient aussi.

Ainsi, mon père et ma mère ont eu un emploi à 14 ans, ils se sont mariés à 18, 19 ans, ont eu des enfants à 20 ans, une maison à 21 ans. Ils avaient toutes sortes d'obligations que je n'ai pas eues avant la vingtaine. Et mes enfants auront ces mêmes obligations, mais seulement à la trentaine. 

Je pense que si on regarde cette vie plus longue à laquelle ils doivent se préparer et cette carrière à plusieurs étapes où la longévité et la technologie entraîneront beaucoup de flexibilité et de ruptures, je pense que vous pouvez voir pourquoi le développement des adultes devrait prendre plus de temps. Savoir qui vous êtes et ce à quoi vous tenez sera un élément très important pour naviguer dans cette longue vie. J'ai dit que mon père avait un emploi à 14 ans et qu'il est resté dans ce secteur pendant toute sa carrière professionnelle, jusqu'à ses 65 ans. Il n'a donc pas vraiment choisi de carrière. Il s'est adapté à l'une d'entre elles, alors que je pense que de plus en plus de jeunes générations ont aujourd'hui de nombreux défis à relever, et il est clair que la carte de la vie qui leur permettait de subvenir à leurs besoins en matière de logement, de retraite et de sécurité ne leur est pas accessible. Mais ils ont aussi d'autres options, notamment, je pense, se lancer dans une carrière davantage axée sur les valeurs que sur les tâches à accomplir.

Il est donc très important pour chacun d’entre nous de savoir qui nous sommes et disposer des actifs transformationnels, comme nous l'appelons dans The 100-Year Life, pour naviguer dans ce processus de changement. Et bien sûr, il est important de savoir qui vous êtes et quelles sont vos valeurs si vous voulez continuer à changer votre rôle, car c'est ce qui vous donne cette cohérence lorsque vous naviguez à travers ces différents changements. Je ne suis donc pas sûr que cela soit différent des générations de parents précédentes. Je veux juste que mes enfants se connaissent et sachent ce qu'ils représentent.

Mais je pense que la flexibilité est importante, la compréhension que les options plutôt que les engagements peuvent être la chose la plus précieuse.

Des options plutôt que des engagements, c'est une bonne idée. C'est aussi très optimiste. Cela signifie que les choix que nous faisons n'ont pas nécessairement un impact aussi important. Nous pouvons toujours changer d’avis !

Oui. En tant que père, c'est toujours étrange de voir ses enfants faire des erreurs. Mais ce n’est peut-être pas si grave.

Fantastique. Merci beaucoup, Andrew, pour ton temps et d’avoir bien voulu partager tout cela avec nous !


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(Générique : Franz Liszt, Angelus ! Prière Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)

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