Merci pour ce deux voix très enrichissant. A la fin vous évoquez comme une "loi" de l'histoire la décomposition puis recomposition du clivage droite/gauche après une période d'alliance. Pourriez-vous détailler un peu plus le mécanisme et indiquer des exemples ou m'indiquer des références. Je n'ai pas bien compris également avec qui le parti socialiste s'est allié pour saisir le nouveau paradigme fordiste et imposer son positionnement au sein du clivage droite/gauche. Par ailleurs, je ne vois pas comment s'intègre le dérèglement climatique dans le nouveau paradigme technico-économique numérique ? Peut-être une suggestion de podcast ou d'indication de référence.
Bonjour et merci ! Alors, sur les différents points :
• Sur la décomposition / recomposition : il y a quelques pages à la fin du livre de référence de Carlota Perez sur les changements de paradigme ("Technological Revolutions and Financial Capital"), mais l'essentiel du livre porte sur les interactions entre la production et la finance. Un autre exemple est "Why the American Century?" (en français "Le siècle américain") de Olivier Zunz et son explication sur la recomposition du paysage syndical aux Etats-Unis – des syndicats corporatistes du XIXème siècle aux syndicats ouvriers du XXe siècle. Enfin, une histoire révélatrice est celle du parti travailliste britannique, qui a émergé dans les usines, est longtemps resté marginal, mais a ensuite éclipsé le parti libéral comme principal parti d'opposition face au parti conservateur – tout cela du fait de la montée en puissance de la classe ouvrière dans l'électorat, qui a conduit à inscrire à l'agenda des sujets importants pour cette catégorie d'électeurs (en particulier le welfare state).
• Sur le parti socialiste : attention aux différences sémantiques d'un pays à l'autre, mais historiquement le schisme entre le parti communiste et la frange socialiste (SFIO puis PS) s'est passé en 1920 (le Congrès de Tours). Le motif apparent était la nature de la relation avec la nouvelle URSS issue de la révolution de 1917. Mais au prisme de la pensée de Louis Hartz, le vrai sujet était la façon de conquérir le pouvoir : par les urnes (vision démocrate) ou par les grèves et les manifestations de rue (vision socialiste). Les "socialistes" ont choisi la première voie, tout en maintenant la primauté de leur considération pour la classe ouvrière, donc le compromis social-démocrate à la française s'est fait au sein de cette frange "socialiste" (qui s'est d'ailleurs ensuite allié avec la frange gauche du Parti radical, et même parfois avec le centre — l'ouverture de 1988).
• Sur le changement climatique : c'est l'un des grands chantiers, d'où l'importance des débats sur le "Green New Deal" aux Etats-Unis ou la "smart green growth" explorée par Carlota Perez et Mariana Mazzucato (que nous interviewons bientôt). Nous avons discuté de ce sujet ici : https://nouveaudepart.substack.com/p/les-choses-vont-enfin-bouger-sur
Merci à tous les deux pour cette excellente grille d'analyse sur les clivages idéologiques sous-jacents aux paysages politiques !
Je sais que le cadre français est quand même beaucoup plus terne et barbant que les États-Unis ou le Royaume Uni. Néanmoins, si le sujet vous botte, j'aurai bien aimé vous entendre sur les deux points suivants:
1/ La dimension "Tories" de LREM:
Je n'ai pas l'impression d'exagérer quand je vois
- son mépris des institutions, des corps intermédiaires et des processus démocratiques sous prétexte d'efficacité.
- son aristocratie (le couple hauts fonctionnaires / milliardaires nourris à la commande d'état ou aux lois sur mesure).
- sa vision monarchique du pouvoir.
- son utilisation de la violence (physique, verbale ou symbolique) pour faire plier les classes populaires ou moyennes récalcitrantes.
2/ La question du protectionnisme
Certes c'est un concept ambivalent. Il peut livrer le marché intérieur à des entreprises nationales prédatrices et peu performantes. Mais il peut aussi faire grandir une industrie nationale à l'abri de la concurrence féroce de pays comme la Chine, l'Allemagne ou les USA. D'ailleurs, il revient sans cesse dans le débat de manière légitime pour de nombreux secteurs comme la Santé, la Souveraineté numérique, l'Énergie, l'Armement ou le e-commerce ces derniers jours. Et on l'a vu s’installer même au US, et déjà sous l'administration Obama.
Bref, j'adorerai vous écouter faire un tour d'horizon de cette question, son histoire et ses lignes de fractures.
Je trouve les dirigeants de LREM, et Macron en particulier, assez 'grossier' et maladroit dans leur approche du paysage politique : ils semblent jouer sur un curseur gauche-droite avec un défaut de corde de rappel sur la gauche, ce qui veut dire qu'il n'y a plus guère de limite dans le glissement vers la droite, et du coup le point d'arrivée est nécessairement la frange "tory". Ce qui échappe à ces gens, je pense, est que ce faisant ils s'installent dans un tel décalage avec les valeurs libérales qu'ils perdent des pans entiers de l'électorat à la fois à gauche, mais aussi dans la frange "whig" de la droite.
Mais bon, tout cela est un peu superficiel, il faudrait que j'y réfléchisse à tête reposée :-)
Sur le protectionnisme : 100% d'accord, tout dépend de l'état d'esprit :
• Pour un pays en voie de développement, le protectionnisme est un instrument de politique industrielle et de politique de développement
• Pour un pays développé, le même protectionnisme se transforme assez vite en prédation et en mise en coupe réglée de l'économie nationale par les plus riches et les plus puissants.
A propos du protectionnisme, n'y a-t-il pas une version moderne à trouver, qui permette de protéger les industries stratégiques d'une part, et d'autre part celles en maturation pour les laisser grandir avant de les exposer à la concurrence US ou Chinoise. Comme la Chine l'a fait d'ailleurs sur le Tech.
Aussi, des associations de consommateurs indépendantes et reconnues, ne pourraient-elles pas être un acteur intéressant dans économies de demain ? Afin de réguler les abus des champions nationaux.
Merci pour ce deux voix très enrichissant. A la fin vous évoquez comme une "loi" de l'histoire la décomposition puis recomposition du clivage droite/gauche après une période d'alliance. Pourriez-vous détailler un peu plus le mécanisme et indiquer des exemples ou m'indiquer des références. Je n'ai pas bien compris également avec qui le parti socialiste s'est allié pour saisir le nouveau paradigme fordiste et imposer son positionnement au sein du clivage droite/gauche. Par ailleurs, je ne vois pas comment s'intègre le dérèglement climatique dans le nouveau paradigme technico-économique numérique ? Peut-être une suggestion de podcast ou d'indication de référence.
Bonjour et merci ! Alors, sur les différents points :
• Sur la décomposition / recomposition : il y a quelques pages à la fin du livre de référence de Carlota Perez sur les changements de paradigme ("Technological Revolutions and Financial Capital"), mais l'essentiel du livre porte sur les interactions entre la production et la finance. Un autre exemple est "Why the American Century?" (en français "Le siècle américain") de Olivier Zunz et son explication sur la recomposition du paysage syndical aux Etats-Unis – des syndicats corporatistes du XIXème siècle aux syndicats ouvriers du XXe siècle. Enfin, une histoire révélatrice est celle du parti travailliste britannique, qui a émergé dans les usines, est longtemps resté marginal, mais a ensuite éclipsé le parti libéral comme principal parti d'opposition face au parti conservateur – tout cela du fait de la montée en puissance de la classe ouvrière dans l'électorat, qui a conduit à inscrire à l'agenda des sujets importants pour cette catégorie d'électeurs (en particulier le welfare state).
• Sur le parti socialiste : attention aux différences sémantiques d'un pays à l'autre, mais historiquement le schisme entre le parti communiste et la frange socialiste (SFIO puis PS) s'est passé en 1920 (le Congrès de Tours). Le motif apparent était la nature de la relation avec la nouvelle URSS issue de la révolution de 1917. Mais au prisme de la pensée de Louis Hartz, le vrai sujet était la façon de conquérir le pouvoir : par les urnes (vision démocrate) ou par les grèves et les manifestations de rue (vision socialiste). Les "socialistes" ont choisi la première voie, tout en maintenant la primauté de leur considération pour la classe ouvrière, donc le compromis social-démocrate à la française s'est fait au sein de cette frange "socialiste" (qui s'est d'ailleurs ensuite allié avec la frange gauche du Parti radical, et même parfois avec le centre — l'ouverture de 1988).
• Sur le changement climatique : c'est l'un des grands chantiers, d'où l'importance des débats sur le "Green New Deal" aux Etats-Unis ou la "smart green growth" explorée par Carlota Perez et Mariana Mazzucato (que nous interviewons bientôt). Nous avons discuté de ce sujet ici : https://nouveaudepart.substack.com/p/les-choses-vont-enfin-bouger-sur
Merci à tous les deux pour cette excellente grille d'analyse sur les clivages idéologiques sous-jacents aux paysages politiques !
Je sais que le cadre français est quand même beaucoup plus terne et barbant que les États-Unis ou le Royaume Uni. Néanmoins, si le sujet vous botte, j'aurai bien aimé vous entendre sur les deux points suivants:
1/ La dimension "Tories" de LREM:
Je n'ai pas l'impression d'exagérer quand je vois
- son mépris des institutions, des corps intermédiaires et des processus démocratiques sous prétexte d'efficacité.
- son aristocratie (le couple hauts fonctionnaires / milliardaires nourris à la commande d'état ou aux lois sur mesure).
- sa vision monarchique du pouvoir.
- son utilisation de la violence (physique, verbale ou symbolique) pour faire plier les classes populaires ou moyennes récalcitrantes.
2/ La question du protectionnisme
Certes c'est un concept ambivalent. Il peut livrer le marché intérieur à des entreprises nationales prédatrices et peu performantes. Mais il peut aussi faire grandir une industrie nationale à l'abri de la concurrence féroce de pays comme la Chine, l'Allemagne ou les USA. D'ailleurs, il revient sans cesse dans le débat de manière légitime pour de nombreux secteurs comme la Santé, la Souveraineté numérique, l'Énergie, l'Armement ou le e-commerce ces derniers jours. Et on l'a vu s’installer même au US, et déjà sous l'administration Obama.
Bref, j'adorerai vous écouter faire un tour d'horizon de cette question, son histoire et ses lignes de fractures.
Intéressant, merci Mohamed :-)
Je trouve les dirigeants de LREM, et Macron en particulier, assez 'grossier' et maladroit dans leur approche du paysage politique : ils semblent jouer sur un curseur gauche-droite avec un défaut de corde de rappel sur la gauche, ce qui veut dire qu'il n'y a plus guère de limite dans le glissement vers la droite, et du coup le point d'arrivée est nécessairement la frange "tory". Ce qui échappe à ces gens, je pense, est que ce faisant ils s'installent dans un tel décalage avec les valeurs libérales qu'ils perdent des pans entiers de l'électorat à la fois à gauche, mais aussi dans la frange "whig" de la droite.
Mais bon, tout cela est un peu superficiel, il faudrait que j'y réfléchisse à tête reposée :-)
Sur le protectionnisme : 100% d'accord, tout dépend de l'état d'esprit :
• Pour un pays en voie de développement, le protectionnisme est un instrument de politique industrielle et de politique de développement
• Pour un pays développé, le même protectionnisme se transforme assez vite en prédation et en mise en coupe réglée de l'économie nationale par les plus riches et les plus puissants.
A suivre dans un prochain épisode :-)
Merci. Hâte d'écouter ça ;)
A propos du protectionnisme, n'y a-t-il pas une version moderne à trouver, qui permette de protéger les industries stratégiques d'une part, et d'autre part celles en maturation pour les laisser grandir avant de les exposer à la concurrence US ou Chinoise. Comme la Chine l'a fait d'ailleurs sur le Tech.
Aussi, des associations de consommateurs indépendantes et reconnues, ne pourraient-elles pas être un acteur intéressant dans économies de demain ? Afin de réguler les abus des champions nationaux.
Yes, tout à fait d'accord sur le pouvoir des consommateurs. Le "A deux voix" sur le protectionnisme est prévu pour la semaine prochaine !
Merci