Volkswagen : l’Allemagne va-t-elle enfin tourner la page du XXe siècle ?
Nouveau Départ, Nouveau Travail | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici le premier article de ma nouvelle série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
En 2024, l’économie allemande devrait entrer en récession, illustrant la fin de la domination industrielle qui a caractérisé l’Allemagne tout au long du XXe siècle. Aujourd’hui, le modèle économique allemand est caractérisé par le déclin de son secteur industriel, sa bureaucratie lourde, son retard dans le numérique et ses infrastructures vieillissantes.
Le « modèle allemand » était vanté par les Français, dont Nicolas Sarkozy, il y a une quinzaine d’années. Pourtant, il a probablement toujours reposé sur des fondements contestables et fragiles, comme la précarisation du marché du travail opéré par le chancelier Gerhard Schröder au début des années 2000 et les inégalités de genre colossales. Hors pensions de réversion, l’écart femmes-hommes en matière de pensions de retraite est de presque 60%.
Si aujourd’hui, il ne reste plus grand monde pour célébrer ce « modèle » décidément passé de mode, je ne cesse de rencontrer des Français étonnés par les récits critiques que je fais de mes années passées en Allemagne : l’enfer administratif, les trains qui ne marchent pas, l’absence de numérique et de services ne collent pas à l’imaginaire que l’on a construit à propos de l’Allemagne. Notre complexe d’infériorité résiste encore !
Mais la fermeture d’une grande partie des usines Volkswagen discutée actuellement, face à une baisse record des ventes ces deux dernières années, marque maintenant un tournant évident. Il semble plus évident que ce « modèle » du XXe siècle ne tient plus… et qu’il faudra bien tourner la page. Mais que reste-t-il quand on a tout misé pendant si longtemps sur les exportations d’automobiles ?
Une gloire industrielle du passé : le modèle « Made in Germany »
Le succès économique de l’Allemagne a longtemps reposé sur un socle solide d’industries de pointe, avec une spécialisation dans l’automobile, les machines-outils et le matériel médical. On pouvait compter sur les géants industriels (VW, BMW, Mercedes, Siemens…) et un réseau puissant de PME familiales implantées sur le territoire : un écosystème industriel au service de la deutsche Qualität.
Cette « qualité allemande » est devenue synonyme de produits robustes, fiables et technologiquement avancés. Volkswagen, pilier de cette réussite, en est l'exemple le plus emblématique. Fondée au milieu du siècle dernier, Volkswagen a même donné naissance à Wolfsburg, une ville entièrement construite autour de son usine phare, incarnant la puissance industrielle du pays. Adolf Hitler en avait inauguré la première usine à la fin des années 1930… mais l’entreprise et sa ville ont réussi à faire oublier sa contribution au nazisme pour incarner le renouveau de l’après-guerre avec la mignonne coccinelle.
Derrière cette prospérité industrielle se cachait un modèle de travail on ne peut plus patriarcal : des emplois masculins stables, bien rémunérés, accompagnés d’un statut social valorisant. Ce modèle de travail permettait à des générations d’hommes de soutenir des familles où les femmes, à la maison puis à temps partiel, prenaient en charge les tâches domestiques et communautaires.
Il est évident que ce partage du travail — les emplois bien rémunérés pour les uns et le labeur gratuit pour les autres — est désormais inadapté aux attentes sociales du XXIe siècle. On manque de bras et on ne peut plus se permettre de se priver des forces féminines. Les évolutions démographiques et culturelles rendent ce partage-là insoutenable économiquement.
Volkswagen face aux défis du XXIe siècle
La baisse des ventes, la concurrence croissante de la Chine, et les coûts de production en Allemagne ont contraint le groupe à envisager des restructurations majeures : fermeture possible de trois usines, réductions d’effectifs, et coupes salariales. Daniela Cavallo, représentante des salariés, a souligné que cette décision marquerait une rupture historique, car ce serait la première fermeture d’usines en 87 ans d’histoire de la marque.
Les difficultés de Volkswagen reflètent également des défis plus larges auxquels l’industrie allemande est confrontée. La transition vers l’électrique était inévitable, mais elle a pris de court les constructeurs historiques qui refusaient de la regarder en face. La dépendance de l’Allemagne aux exportations, en particulier vers la Chine, a toujours été risquée alors que le marché chinois se tourne de plus en plus vers des véhicules électriques produits localement. Comme si on ne savait pas que les Chinois voulaient développer leur propre industrie ! Comme si on pouvait faire comme si rien n’allait changer !
2 leçons pour le XXIe siècle
#1. Le modèle d’emploi centré sur des postes industriels masculins, stables et bien rémunérés, combinés à des « petits boulots » féminins à temps partiel dans les services, est obsolète. Les changements démographiques — vieillissement, augmentation des foyers composés de personnes seules, baisse de la natalité — et l’évolution des attentes sociales et professionnelles rendent ce modèle intenable. Il va falloir créer des bons emplois dans les services et permettre aux femmes de travailler à temps plein (avec des crèches et des écoles qui ne s’arrêtent pas à 13h).
#2. L’inefficacité administrative et le manque d’investissements dans les infrastructures (notamment les réseaux ferroviaire et routier) pèsent sur la compétitivité et la qualité de vie, avec des effets catastrophiques sur la mobilité et l’attractivité. Comment espérer vendre des voitures si c’est un enfer de prendre la route (embouteillages permanents à cause de voies constamment “en travaux”, où les travaux ne se font jamais) ? Alors que les ponts s’effondrent, on peut dire qu’ils ont trop tardé à prendre soin de leurs infrastructures. Maintenant, les Allemands en payent le prix, en perte de qualité de vie et d’opportunités.
Ce podcast “À deux voix”, enregistré il y a presque 3 ans, détient le record du nombre d’écoutes de tous les podcasts Nouveau Départ ! Ce coup de gueule personnel reste d’actualité même si nous avons quitté l’Allemagne cet été 👇
Récemment, j’ai également fait une liste des 3 choses qui me manqueront et des 3 choses qui ne me manqueront pas à propos de l’Allemagne. Les choses qui ne me manqueront pas pèsent plus lourd…
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Qui nous sommes
Laetitia | Cofondatrice de la société Cadre Noir, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité. Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 17 ans. Après avoir vécu près de 10 ans à Londres puis à Munich, nous sommes revenus en France en août 2024. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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