Tonjé Bakang est un producteur et entrepreneur que j’ai rencontré il y a des années, dans le cadre de The Family. Actuellement Director à temps partiel à The Family, il a fondé le média Afrostream, incubé en 2015 dans la Silicon Valley par le prestigieux Y Combinator. Entre les États-Unis et l’Afrique, Tonjé a beaucoup voyagé pendant les années où il a développé des partenariats pour produire ou diffuser des contenus afros sur son média Afrostream. Malgré de nombreux fans, le “Netflix afro” n’a malheureusement pas pu lever suffisamment de fonds, et Tonjé a jeté l’éponge en 2017.
Entre 2017 et la pandémie de Covid-19, Tonjé a voyagé encore plus, a exploré l’Afrique, accompagné des entrepreneurs, s’est investi dans l’éducation en Afrique et est toujours aussi convaincu de l’importance des role models pour tous ceux qui sont invisibles dans les médias traditionnels.
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J’ai trouvé l’interview avec Tonjé très stimulante. Vous trouverez ci-dessous une transcription (synthèse) écrite, mais je vous encourage à écouter le podcast quand même, pour capter un peu de l’énergie de Tonjé !
N.D. : Tu as fondé le média Afrostream que tu as fermé il y a deux ans. Peux-tu nous parler de tout ce que tu fais aujourd’hui ? En particulier pendant la pandémie ?
T.B. : D’abord, quelques mots sur Afrostream. C’était un média en ligne dédié aux fictions et documentaires afros, c’est-à-dire africains ou produits par la diaspora africaine en Europe, ou encore afro-américains et caribéens. Ce qui était assez unique dans le lancement de cette plateforme en 2014, c’était déjà le streaming de contenus à la demande (il faut se souvenir que Netflix n’était pas encore présente en France cette année-là). Il y avait aussi, évidemment, l’idée de créer une plateforme autour d’une thématique forte qui répondait à un besoin de visibilité et de reconnaissance d’une population souvent maintenue à la marge, et qui a du mal à se reconnaître dans le contenu qu’elle regarde, surtout quand elle est en minorité dans un territoire.
C’était aussi pertinent pour l’Afrique parce que les filières de production audiovisuelle en Afrique souffrent d’un problème de financement. Les chaînes locales n’ont souvent ni les moyens ni la volonté de développer du contenu ambitieux. Pour moi, l’idée était de créer une communauté mondiale de fans de contenus afros pour permettre, localement, le financement de contenus premium, par exemple en Côte d’Ivoire, au Nigeria, ou encore à l’île Maurice.
Malheureusement, cette aventure a dû s’arrêter. Après avoir levé 4 millions de dollars auprès d’investisseurs de la Silicon Valley, d’Hollywood et, à la marge, en France, et malgré une croissance exponentielle après le lancement d’Afrostream, on a dû tout arrêter. Le coût d’acquisition du contenu était bien supérieur à notre financement et aux revenus générés par les abonnements.
Mais en effet, il reste des traces de tout cela. Dans une lettre ouverte sur les coulisses de cette aventure, j’ai partagé toutes les leçons que j’en ai tirées, notamment tous les chiffres-clés et les enseignements concernant les médias. C’était aussi une aventure entrepreneuriale qui a inspiré beaucoup de gens. C’était donc important pour moi de maîtriser mon histoire, de ne pas laisser les autres raconter cette histoire à ma place. C’est cela qui pourra aider d’autres entrepreneurs à aller plus loin.
Ce texte, je l’ai partagé en septembre 2017, et pendant des mois, ça a été l’un des textes les plus lus sur la plateforme Medium. Pourquoi ? Probablement, parce que c’était l’une des rares fois où un homme noir, africain, pouvait partager publiquement sa vulnérabilité. Déjà, c’est rare pour qui que ce soit de partager sa vulnérabilité, mais pour un homme noir, ça l’est sans doute davantage. On s’auto-censure dans l’expression de nos sentiments. Cette lettre ouverte a été comme un séisme aux États-Unis, en France, mais aussi en Afrique. Mon parcours, c’est celui d’un entrepreneur qui a échoué, mais qui s’en est sorti par le haut.
Depuis, je cherche un équilibre entre ma vie d’entrepreneur et toutes mes autres activités. Je ne veux plus vivre cette vie trépidante aux dépens de ma vie sociale et de ma santé mentale. J’ai pris beaucoup de recul par rapport à la toxicité de l’environnement startup qui encourage à ne dormir que 4 heures par jour. Et je ne souhaite plus me dévouer à un seul projet. On peut se consacrer à des projets multiples sans pour autant se disperser. En ce moment, je suis co-fondateur de trois projets. Je ne m’interdis pas d’explorer des champs multiples qui correspondent à différentes facettes de ma personnalité.
En résumé, je suis toujours entrepreneur, mais je ne suis plus dévoué à un seul projet, et je ne cherche plus autant la visibilité. Cela ne me dérange pas d’être davantage dans l’ombre. Depuis la crise du COVID-19, je fais beaucoup de mentorat à distance (via Zoom). J’ai même créé mon site internet perso à cet effet. Ce mentoring, je le faisais déjà dans le cadre de The Family, où je suis part-time director. On a beau avoir regardé des centaines d’heures de vidéos sur YouTube, quand on est seul face à ses propres difficultés entrepreneuriales, y a rien de mieux qu’un mentor.
Pour aller plus loin, je me suis dit que je pouvais rendre ce service à des entrepreneurs qui ne sont pas déjà dans le réseau de The Family. Ça a rapidement marché très fort. Il y a une telle demande autour de l’éducation. Par ailleurs, j’ai également lancé des live masterclasses où je m’occupe de 20 porteurs de projets simultanément sur Zoom, à qui je présente toutes les erreurs que font les débutants. J’ai toujours été passionné par l’éducation. Le confinement aura été pour moi une belle occasion de concrétiser cette passion en m’appropriant des outils numériques pour maîtriser toute la chaîne de valeur et créer des choses par moi-même.
Ton histoire est une sorte de mise en abyme d’un sujet qui te tient à coeur, c’est le sujet des ‘role models’. Il y a des gens qui sont invisibles dans les médias, et le fait de les rendre visibles, ça change tout. Toi tu es un role model, justement. Est-ce que ça joue un rôle dans ton activité ? Quelle place a l’Afrique dans tes activités virtuelles d’aujourd’hui ?
Ce qui est fascinant, c’est qu’en osant prendre la plume, en osant être visible, notamment au sein de The Family, à une position où il y a très peu de personnes non blanches, tout d’un coup, ça donne un signal très fort aux entrepreneurs et entrepreneuses qui ne font pas partie de la population dominante locale blanche. Naturellement, ces entrepreneurs et entrepreneuses se disent que, en plus de mes compétences entrepreneuriales, je suis passé par des choses par lesquelles ils sont en train de passer. Il y a des non-dits, des regards, des choses que ces personnes ont subis et que je peux comprendre rapidement. Et donc naturellement, pour ces personnes, je deviens un allié.
Qu’importe qu’ils partagent mon origine sociale ou ethnique, le fait de faire partie d’une population qui a été renvoyée à la marge fait la différence. Les gens qui viennent me voir aujourd’hui, quand ils sont français, sont d’origine asiatique, d’Afrique du Nord, d’Afrique sub-saharienne, ou encore sont des femmes. On est loin du profil du jeune homme blanc qui a fait une école de commerce. Non que je ne puisse pas soutenir ce type d’entrepreneurs : je pourrais tout à fait être un mentor pour eux. Mais ce ne sont pas les entrepreneurs de cette catégorie qui viennent me voir. Quand ceux-là viennent à moi, c’est pour solliciter mon expertise en matière de médias.
Pour ce qui concerne l’Afrique, juste après Afrostream, j’ai rejoint une université en Afrique qui s’appelle The African Leadership University (qui a un campus au Rwanda, un à l’île Maurice et un au Kenya). J’ai créé pour eux un programme d’entrepreneuriat pour les étudiants. Ce qui était génial, c’est qu’il y avait des étudiants de toute l’Afrique – du Maroc, de Gambie, du Nigeria, d’Afrique du Sud… C’était fascinant d’interagir avec une telle diversité culturelle. Je garde un lien très fort avec l’Afrique, via tous ces jeunes talents avec lesquels je reste connecté.
Ensuite, je suis devenu le brand ambassador de l’un des programmes de Mastercard en Afrique, qui vise à financer les programmes d’entrepreneurs de moins de 22 ans. Le fait d’apporter de l’éducation entrepreneuriale à des jeunes Africains est l’un des grands défis de la décennie pour le continent, car il faut pouvoir créer de l’emploi pour tous ces jeunes. Cette expérience a été très importante dans mon exploration de l’Afrique. À l’époque où j’allais en Afrique pour Afrostream, j’allais principalement dans trois pays : le Nigéria, source intarissable de contenus avec leur industrie surnommée “Nollywood” ; la Côté d’Ivoire, car beaucoup de choses se développent autour de l’audiovisuel à Abidjan ; et en Afrique du Sud, pour des grands événements à Johannesburg et parce que c’est un grand marché. Je n’avais pas le temps d’aller dans plus de pays. J’avais des grosses lacunes en matière de connaissance du continent africain, que j’ai en grande partie comblées grâce à mes expériences ultérieures (African Leadership University et Mastercard).
Je vois beaucoup d’opportunités. Ces entrepreneurs m’aident à les saisir. Je n’aime pas dire que je les aide...
Tu es un “connecteur” plutôt que quelqu’un qui aide. Est-ce que ce mot te convient ?
Oui, tout à fait. “Aider”, c’est un mot trop connoté en ce qui concerne l’Afrique. Ici, on parle de business et d’opportunités qui concernent tant les Africains que ceux qui investissent dans les initiatives entrepreneuriales en Afrique.
Pour finir de répondre à ta question, le fait d’exister, le fait d’avoir une voix est un symbole essentiel. On sait qu’on trouvera en moi une oreille attentive qui ne sera pas dans le jugement et dans les préjugés. C’est sûrement pour ça que dans les profils d’entrepreneurs que j’attire, il y a une sur-représentation des minorités.
La question qu’il faut se poser, c’est plutôt pourquoi il n’y a pas plus d’entrepreneurs hommes blancs qui viennent me voir. Est-ce que, parce que je suis noir, ils ne se reconnaissent pas en moi ?
Bonne question. On retrouve la même en ce qui concerne les femmes et les hommes. Pourquoi les femmes ne mentorent-elles presque que des femmes alors que les hommes mentorent des hommes et des femmes ?
Entre ton travail à la African Leadership University et avec le programme Mastercard, tu as acquis une bonne vision globale de ce qui se passe en matière d’entrepreneuriat en Afrique. Quels sont les pays où ça bouge le plus ?
De façon incontestable, c’est au Nigéria que ça décolle le plus vite. C’est là qu’on voit l’activité la plus intense. Ça s’explique par sa population — près de 200 millions d’habitants, et sa mégapole, Lagos, qui a environ 20 millions d’habitants, ainsi que des traits culturels. Les Nigérians ont un sens du business aigu, qu’on appelle le hustle. Il y a des secteurs tech très porteurs au Nigéria, notamment les services financiers, autour de la question, “Comment permettre une meilleure circulation de l’argent ?”. Il existe d’innombrables défis concernant la circulation monétaire sur tout le continent africain. La circulation des biens aussi.
En fait, pour résumer, il y a trois gros sujets en Afrique. Le premier, c’est le déplacement des marchandises, des personnes et de l’argent. Ce sont d’énormes opportunités de business pour ceux qui sont prêts à trouver des solutions. Le deuxième, c’est la santé : dans le monde post-confinement, beaucoup d’innovations vont être financées dans la santé à différents niveaux. Et enfin, il y a l’éducation, en particulier professionnelle : quelles sont les compétences dont le monde aura besoin demain, et comment les proposer rapidement ?
On pourrait étendre cette réflexion à la France et à l’Europe. Cette année, on risque de voir arriver des plans sociaux massifs partout en Europe. Une grande partie des travailleurs au chômage vont devoir se réinventer, redéfinir leur expertise, dans un monde où il faut être à l’aise avec le numérique. L’Europe n’a finalement pas beaucoup plus d’avantages compétitifs que les pays émergents dans ces domaines-là. Ça risque d’être compliqué. Il y aura urgence à se réinventer vite.
Dans l’ensemble, ce confinement a accéléré un changement de fond, un tsunami au niveau de l’éducation. L’école va devoir se réinventer. Il y a des choses qu’on n’apprend pas au lycée mais dont on a besoin dans un monde post-COVID-19. La crise va rebattre les cartes. L’éducation va jouer un rôle déterminant pour préparer les générations à venir parce que la concurrence va s’intensifier.
Quelles sont les compétences dont on aura besoin demain ?
Tout ce qui est analyse de données va être essentiel. Dans les industries comme le commerce de détail, le tourisme, l’éducation, on observe une accélération de la disruption.
Il faut bien noter que la fin du confinement, ça n’est pas la fin de la crise du COVID-19. Le vaccin créé le plus rapidement dans l’histoire des vaccins, ça a été fait en 4 ans ! Ce n’est pas parce qu’on en a besoin qu’un vaccin va être développé rapidement. Pendant peut-être quatre ans, nous allons vivre avec cette peur du coronavirus. Il n’y aura donc pas de retour à la normale. Il faudra réinventer la normalité. Et le numérique va jouer un grand rôle. On aura besoin d’employés pour résoudre des problèmes, accompagner la transition numérique. On aura plus besoin de stratèges que d’exécutants.
Le fameux hustle nigérian n’est-il pas LA compétence-clé de demain ?
C’est ce dont on a besoin. Avec une capacité d’analyser les problèmes et les solutions. Ce hustle est quelque chose qu’on doit apprendre à développer dès le lycée. Comment renforcer l’esprit entrepreneurial à tous les niveaux ? C’est le grand enjeu de l’éducation, surtout dans un monde où il faudra créer son propre emploi.
Il y a une autre dimension dont on risque fort d’avoir besoin demain, c’est celle de raconter des histoires (Netflix n’a jamais été autant regardé que depuis le début du confinement). Si Afrostream existait encore, il y aurait du monde pour regarder ses programmes ! Quel regard tu as sur le storytelling et le monde des médias en général, dans un monde où, crise sanitaire oblige, on bouge moins ?
Je suis toujours très impliqué dan le monde des médias. Je suis producteur et je fais du développement de films et séries télévisées avec des producteurs britanniques et américains, avec ce prisme de raconter des histoires de minorités, quel que soit le type de minorité. Tu l’auras compris, c’est ma passion, c’est ce qui me fait vibrer. Je trouve que cette crise du covid est une opportunité de recommencer, de redémarrer la machine. Il y a une prise de conscience globale dans l’industrie, qu’il faut raconter les histoires différemment. Pour des producteurs comme moi, c’est une occasion formidable de sortir tous nos projets des tiroirs. Il y a une vraie demande des diffuseurs.
Je suis persuadé qu’il y a deux types de contenus qui vont s’en sortir : des contenus premium, de type Game of Thrones, où l’on continuera à mettre des dizaines de millions de dollars par épisode – et là, malgré les contraintes sanitaires, l’argent investi fait qu’on arrivera à délivrer. De l’autre côté, on va trouver de plus en plus de contenus avec une valeur de production très faible, mais où l’accent va être mis sur ce qui est dit. Ce contenu-là, s’il est pertinent, pourra avoir une audience aussi importante que Game of Thrones, même s’il est produit avec des smartphones et Zoom ! Par contre, ce qui est au milieu risque de disparaître – ce qui est assez cher à produire, mais moyennement pertinent. Les annonceurs feront souvent le choix de mettre plein de petits chèques sur plein de petites productions avec des valeurs de production basses, mais qui visent des niches et ont de l’impact.
Ce changement est déjà à l’oeuvre. Les annonceurs commencent à redistribuer leur budget. Ça va être compliqué pour les chaînes de la TNT et les chaînes du câble qui ne sont pas assez innovantes. C’est vraiment lié à l’audience. Qui regarde la télé en semaine ? Des personnes âgées. C’est difficile de construire un business d’avenir sur une audience vieillissante. La transition s’accélère.
Dans les Game of Thrones d’aujourd’hui et de demain, est-ce que la visibilité des invisibles (minorités, femmes) s’améliore ? Est-ce qu’on a moins de stéréotypes dans les histoires qu’on raconte ?
Ce qui est le plus important, c’est qui raconte l’histoire. Tu peux me mettre un personnage noir dans un film, si l’histoire est toujours racontée par les mêmes, ça restera limité. Ça restera toujours le point de vue d’un dominant. Aujourd’hui, l’enjeu à Hollywood, c’est comment on fait pour avoir plus de diversité (et je sais que ce mot fait saigner des oreilles en France) dans des postes de pouvoir derrière la caméra. Comment fait-on pour que les producteurs, distributeurs, directeurs de collections soient aussi issus de la diversité ? Comment fait-on en sorte de soutenir des producteurs qui ont un regard différent, lié à ce qu’ils sont ?
Il faut plus de réalisateurs différents. Par exemple, pendant longtemps les personnages noirs dans les films étaient très mal éclairés. Il a fallu des années pour que les professionnels de la télé sachent bien maquiller Rama Yade. Elle a fini par se maquiller elle-même ! C’est une série de prises de conscience. La question de la représentation est très importante, mais elle doit se faire devant et derrière la caméra. En général, quand c’est derrière la caméra, ça accélère et ajuste ce qui se passe devant.
Je n’ai aucune envie que se perpétue la tradition du film français où Marianne, la petite bourgeoise française, héberge Aminata, qui est soit une prostituée, soit une réfugiée, soit une enfant des rues africaine, dont Marianne sera la sauveuse. Ce n’est pas l’histoire de Aminata qui s’en sort parce qu’elle est intelligente, c’est l’histoire de Marianne, la sauveuse. Ce truc du White Savior, y en a marre ! Et le pire, c’est que les producteurs vous en parlent comme d’un truc formidable : “Regardez, on a fait ce film-là, et pourtant, la communauté n’est pas venue voir le film”. Bah oui, c’est évident, pourquoi on n’est pas venu voir le film ! Vous faites un film qui prône le fait qu’on a besoin d’un sauveur. Je n’ai pas envie de voir ça.
Le succès d’un film comme Black Panther prouve-t-il que les Américains ont compris quelque chose que les Français n’ont pas encore compris ?
Je tiens à préciser que les Américains n’ont pas “compris” grand chose. Là-bas, comme ici, on assiste à une lutte perpétuelle des minorités pour exister. Quand tu connais un peu les coulisses de Black Panther, tu t’aperçois que, dans les contrats, on a voulu arnaquer les comédiens. C’est toujours rude ! Aujourd’hui, on a des histoires qui représentent un peu mieux la diversité aux Etats-Unis, parce qu’on a un peu plus de scénaristes issus de ces minorités, de producteurs, de cadres dans les networks. Le numérique a aussi permis de prouver qu’il y a une grosse appétence du public pour ce contenu-là, que ce n’est pas grave si au début, c’est un contenu de niche parce que très vite ça se dissémine partout. Mais ça a été au prix de combats.
Si on ramène ça à la France, déjà quand on dit “homme blanc”, ça choque. Je suis un homme noir, je dois pouvoir le dire. Comment peux-tu avoir un débat quand on ne peut même pas dire les choses ? Je suis en colère contre France Télévision. Je ne sais même pas pourquoi je paie une redevance. Que font-ils pour moi ? Ils renforcent des stéréotypes. Et parfois, les pires sont ceux qui se pensent très humanistes, très de gauche, très ouverts. Ils vous bloquent de façon inconsciente mais ne pensent pas être en droit d’être critiqués. Quand on a une conversation avec eux, et qu’on leur demande pourquoi ils n’en font pas plus, pourquoi les minorités ne sont pas plus visibles, ils vont dire, “Nous, on ne voit pas les couleurs”, “Pour nous, c’est l’histoire qui l’emporte”.
Mais c’est bizarre : quand c’est “l’histoire qui l’emporte”, les personnages noirs sont toujours dans des positions de fragilité ou d’infériorité. On attend le juge, on attend le héros, mais c’est toujours l’homme blanc qu’on attend. Quand vous dites ça, ça les choque ! Parfois, ils vous disent qu’on ne trouve pas les gens de minorités dans les castings. C’est faux ! On les trouve quand il s’agit de faire des publicités qui les ciblent !
Une dernière question : quelles sont les fictions du moment que tu aurais envie de nous recommander ?
Westworld sur HBO, une série qui nous questionne sur le futur et la relation avec l’IA.
Succession, aussi sur HBO, une série qui raconte les rivalités rocambolesques au sein d’une famille qui possède un grand conglomérat américain. On y apprend plein de choses sur l’entrepreneuriat, le business et le milieu des médias ! Et la façon dont l’ego peut faire et défaire des business.
Self Made sur Netflix, l’histoire de la première femme entrepreneure millionnaire aux États-Unis, qui a créé un business pour les cheveux des Noires.
Unorthodox, aussi sur Netflix, une plongée dans l’univers des Juifs orthodoxes de Brooklyn.
J’encourage tout le monde à s’intéresser à l’autre, à sortir de sa bulle. On sort de sa bulle dans le cas des deux dernières séries que j’ai citées. C’est en regardant l’autre qu’on créé des opportunités d’échange (et de business). Dans un monde qui se ferme, la compréhension de l’autre, c’est une extraordinaire opportunité.
Voici quelques articles pour aller plus loin :
Tonjé Bakang (site Internet de Tonjé)
Why are Africa’s coronavirus successes being overlooked? (Afua Hirsh, The Guardian, 21 mai 2020)
S'autoriser à se re-programmer (podcast—Valentin Richard avec Tonjé Bakang, Koudetat, février 2020)
Is Africa the Future of European Tech? (Nicolas, European Straits, December 2019)
Dans les coulisses de l’aventure Afrostream (Tonjé Bakang, Medium, septembre 2017)
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(Générique : Franz Liszt, Mephisto-Valse, S.514—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)
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