Cette semaine, mon invitée est Corinne Vadcar, analyste à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, économiste spécialisée dans le commerce international et co-autrice de la recente étude Entreprises et création de valeur : Rapprocher la chaîne de valeur au plus près du client. Nous nous sommes entretenus il y a quelques semaines dans un contexte où le commerce international se transforme à toute vitesse et où les chaînes de valeur se déforment en conséquence.
La notion de “chaîne de valeur” sonne comme du jargon de consultant. On la doit d’ailleurs à Michael Porter, professeur à Harvard et l’un des fondateurs de la stratégie d’entreprise en tant que discipline académique et pratique. Pourtant, il y a derrière cette notion une réalité bien tangible, qui façonne le monde qui nous entoure : tout marché est servi par une filière, c’est-à-dire des entreprises qui appartiennent à des secteurs différents mais combinent leurs activités de façon à ajouter de la valeur à chaque étape – de l’extraction des matières premières au service rendu au client final, en passant par la transformation, l’assemblage, la distribution… et j’en passe.
Toutes ces activités qui se combinent de l’amont à l’aval, c’est ce qu’on appelle la “chaîne de valeur”. Par exemple, les équipementiers automobiles fournissent des pièces aux constructeurs automobiles, lesquels assemblent des voitures qu’ils acheminent ensuite jusqu’à une concession automobile, où la voiture est vendue au client final. Ou encore, des cultivateurs font pousser des oléagineux, qui sont ensuite transformés en huiles de grande consommation, dont les bouteilles sont disposées sur les rayons des supermarchés et achetées pour préparer de bonnes salades. Derrière chaque “secteur” de l’économie, il y a toujours une “chaîne de valeur” qui s’allonge et se complexifie à l’infini, enjambant les frontières et s’incarnant dans des activités économiques en réalité très diverses – extraction, recherche, industrie, services.
J’ai moi-même découvert la puissance didactique de la notion de “chaîne de valeur” à l’époque où j’ai écrit un article intitulé Les cinq étapes du déni. Publié sur la publication Medium de ma société The Family en 2015, cet article a connu un succès immédiat : il m’a valu des dizaines d’invitation à venir parler devant des cadres d’entreprises, une proposition (acceptée) de devenir professeur associé à l’Université Paris-Dauphine, et un succès d’audience jamais égalé depuis. Aujourd’hui encore, cet article est le plus vu sur mon compte Medium, et aucun des articles que j’ai publié depuis sur Substack ou ailleurs ne l’a encore rattrapé en nombre de vues et en impact. J’en ai déduit que les chaînes de valeur fascinent et aident à comprendre !
Pourtant, comme me l’a expliqué Corinne, la notion de “chaîne de valeur” ne va pas sans difficulté. Elle est brouillée, notamment, par la fascination collective que nous éprouvons face à des activités qui, en réalité, occupent une place assez marginale dans les chaînes de valeur. La recherche et développement, par exemple, c’est important, mais cela ne crée pas tant de valeur (en tout cas tant que ça ne débouche pas sur de l’innovation). Quant aux usines, certes ça crée quelques emplois et ça nous rappelle notre passé glorieux de grande nation industrielle, mais, là encore, la quote-part de la valeur ajoutée par ce maillon particulier n’est plus si élevée.
Malheureusement, ces déformations des chaînes de valeur traditionnelles et cette redistribution de la valeur entre les différents maillons nous échappent largement. Nous ne disposons pas encore de cadres d’analyse bien compris et partagés pour nous éclairer dans notre entendement de l’économie : le fait, par exemple, que la valeur réside de plus en plus dans la personnalisation des produits, par opposition à la production de masse du XXe siècle ; ou encore le fait qu’il n’y a plus de séparation stricte entre les biens, d’un côté, et les services, de l’autre, dans un monde où ce sont des entreprises hybrides, qui produisent en même temps des biens et des services, qui emportent la mise. Tels sont, précisément, les phénomènes que Corinne retrace dans ses travaux, à partir d’études de terrain conduites auprès des entreprises elles-mêmes.
La contribution de Corinne est cruciale dans un monde où, encore une fois, l’économie est en transition et les chaînes de valeur se déforment voire se désagrègent. Je suis très heureux d’avoir pu échanger avec elle en détail et de pouvoir faire écho à ses travaux, marquant une étape dans une relation où nous avons beaucoup échangé ces dernières années – pas tant directement, mais grâce à la lecture mutuelle de nos travaux respectifs et des progrès que nous avons pu ainsi faire l’un et l’autre dans notre compréhension de la transition en cours. J’espère que cette conversation vous intéressera aussi – je vous souhaite une excellente écoute 🎧 !
Consultez l’étude Entreprises et création de valeur : Rapprocher la chaîne de valeur au plus près du client par Elisabeth Baur, Sally Bennacer, Rachel Chicheportiche, Bruno Didier, Philippe Goetzmann, Pierre Kuchly, Nelly Rodi, Jean-Michel Tasse et Corinne Vadcar (Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France).
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(Générique : Franz Liszt, Angelus ! Prière Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)
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