Arrêts de travail : le coût caché des économies de court terme
Nouveau Départ, Nouveau Travail | Laetitia Vitaud
✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Et si les économies de court terme sur l’indemnisation des arrêts de travail finissaient par tous nous coûter bien plus cher à moyen et long terme ? C’est souvent que les économies de court terme sont ruineuses sur le temps long, comme lorsqu’on achète un appareil ménager bon marché qui consomme plus d’électricité et d’eau, tombe en panne 3 fois plus vite et doit être remplacé plus rapidement.
Le gouvernement veut faire des économies de Sécurité sociale, le plus vite possible
Les réformes en cours d'examen par le gouvernement français pour réduire le déficit de la Sécurité sociale suscitent des réflexions de ce type. Le gouvernement envisage de réduire les indemnités journalières versées aux salariés en arrêt maladie en abaissant le plafond d’indemnisation de 1,8 SMIC à 1,4 SMIC. Cette mesure pourrait générer des économies estimées à 600 millions d’euros, et elle toucherait essentiellement les salariés les mieux payés, souvent couverts par des dispositifs de prévoyance ou des conventions collectives. Cela reporterait une partie des coûts vers les employeurs, les assureurs et/ou les travailleurs eux-mêmes.
Une autre option envisagée est l’allongement du délai de carence, actuellement de trois jours, pendant lequel un salarié en arrêt maladie ne touche aucune indemnité. Porter ce délai à sept jours permettrait d’économiser jusqu’à 950 millions d’euros, mais ça serait plus difficile à faire accepter, notamment pour les travailleurs qui n'ont pas de couverture complémentaire pour compenser ces jours non indemnisés.
Quoi de plus facile que de stigmatiser les travailleurs qui « abusent » ?
L’approche est essentiellement punitive. Elle repose en partie sur la présomption d’« abus », sur l'idée que certains travailleurs prolongeraient ou déclencheraient leurs arrêts maladie de manière non justifiée, en profitant des indemnisations de la Sécurité sociale. « Pas envie d’aller au taf aujourd’hui. Je préfère binger cette nouvelle série Netflix. » En fait, ces « abus » devraient surtout amener à se questionner sur les raisons qui font que des individus ont si peu envie d’aller travailler : une organisation délétère, un management toxique, des trajets épuisants, la pénibilité, ou même des situations de harcèlement.
Mais les arrêts de courte durée concernent le plus souvent des salariés en situation de fatigue extrême, de douleurs chroniques (comme l'endométriose ou la migraine), de maladies contagieuses (grippe, Covid-19, gastro-entérite), ou faisant face à des situations familiales urgentes (enfant ou parent malade). Les arrêts de travail sont rarement un choix de « confort », mais plus souvent une nécessité imposée par la santé ou les contraintes familiales.
Cette vision court-termiste pourrait coûter cher à moyen et long terme
Si davantage de salariés retournent au travail dans un état de santé fragile, cela pourrait engendrer une baisse de la productivité. Travailler en étant physiquement ou psychologiquement épuisé ne favorise ni l’efficacité ni la qualité de travail. De plus, des collègues en bonne santé peuvent être exposés à des maladies contagieuses, ce qui augmente le risque d’arrêts de travail supplémentaires. Les épidémies de grippe saisonnière ou de Covid, par exemple, peuvent rapidement s'étendre au sein des entreprises, entraînant une hausse des absences (notamment des personnes les plus vulnérables) qui, ironiquement, pourrait annuler les économies espérées.
Une autre conséquence de cette réforme est la pression accrue sur les aidants familiaux, majoritairement des femmes, qui sont souvent contraints de s’arrêter pour gérer les urgences liées à la santé de leurs proches. Les femmes, déjà majoritaires dans les fonctions de soin et d’aidance, souvent épuisées par le cumul du travail et du soin aux proches, sont les premières affectées par la réduction des indemnisations et la stigmatisation des arrêts de travail.
On passe encore à côté des vrais sujets
Les questions les plus pertinentes concernent l’organisation du travail et la santé au travail. En cherchant à réduire les arrêts maladie par des mesures strictement budgétaires, on ignore les questions plus profondes et fondamentales : pourquoi les arrêts maladie augmentent-ils, et comment le travail pourrait-il devenir plus soutenable ? Les causes des absences pour raisons de santé sont nombreuses : stress au travail, mauvaises conditions physiques (postures inadéquates, charge physique excessive), épuisement psychologique lié à des environnements de travail toxiques, manque de flexibilité pour gérer des situations familiales urgentes, entre autres.
Au lieu de punir les arrêts, il pourrait être bien plus efficace de repenser l’organisation du travail en offrant plus de soutien psychologique, en augmentant l’autonomie au travail, en limitant les charges de travail, en améliorant les conditions de travail physiques, et en promouvant un management moins stressant et plus respectueux des besoins individuels. Les politiques de santé au travail, les dispositifs de soutien aux aidants familiaux et l’amélioration de l’ergonomie des postes pourraient avoir un impact bien plus durable et positif sur les finances publiques.
Les coûts cachés liés aux externalités négatives d'une telle réforme - en termes de baisse de productivité, de hausse de l’absentéisme sur le long terme, et de dégradation de la santé publique - devraient être pris en compte pour éviter des solutions qui, si elles semblent payantes à court terme, risquent de se révéler coûteuses à moyen et long terme.
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Qui nous sommes
Laetitia | Cofondatrice de la société Cadre Noir, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité. Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 17 ans. Après avoir vécu près de 10 ans à Londres puis à Munich, nous sommes revenus en France en août 2024. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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Pas d'accord, votre post me parait hors sol et corseté dans un cadre idéologique habituel...rien qu'avec le titre, on pouvait écrire la conclusion. Et comme d'hab, aucun chiffre cité, just des mots et des théories. Les arrets de courte durée sont malheureusement le fait de gens qui ne se présentent pas car trop stressés, pas finis leur taff...du mois dans IT / digital. Et il faut aussi s'interroger sur la résilience des gens, à force d'abaisser leur seuil de tolérance à toute contrariété, on ne rend service ni à l'entreprise ni à la société ni à eux-meme. La douilletisation de tout ne nous prépare pas à l'avenir.