Retraite : connaissez-vous l’indignité du Certificat de vie ?
Nouveau Départ | Tribune | Laetitia Vitaud
Je reprends la plume en ce début d’année ✍️ pour un « coup de gueule » que j’avais envie de partager avec vous.
Quand vous voulez toucher une prestation sociale, pension de réversion ou minimum vieillesse, par exemple, vous entrez dans un parcours du combattant, tant les démarches sont complexes et kafkaïennes. Vous n’avez jamais les bons documents et si vous n’entrez pas complètement dans les cases, on en profitera toujours pour ne pas vous la verser. En général, paradoxalement, plus le montant de la prestation est faible, plus la bureaucratie est grande et plus vous êtes traité·e de manière indigne.
C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle une grande partie des gens qui ont droit à une prestation sociale n’en font pas la demande. En France, 30% des personnes pouvant prétendre à une aide sociale ne la perçoivent pas. Le taux de non-recours a tendance à augmenter. Beaucoup de vieilles personnes qui pourraient toucher un minimum vieillesse ne le reçoivent pas. D’un point de vue purement cynique, la complexité des démarches (et le fait de demander des documents impossibles façon « maison qui rend fou » dans Astérix) est payante : l’économie pour les caisses de l’État s’élève à des dizaines de milliards d’euros.
Mais n’est-ce pas saboter encore davantage la confiance que nous avons dans nos institutions ? Les vieilles personnes qui ne touchent pas leurs pensions ont des enfants qui ne croient plus dans le système de retraite et cherchent à éviter de payer des cotisations sociales. C’est un cercle vicieux. Je voudrais ici vous parler d’une démarche en particulier, qui me touche de près : le Certificat de vie que l’on exige des vieilles personnes retraitées pour qu’elles puissent continuer à toucher leur pension de retraite.
Chaque année, vous devez prouver que vous êtes en vie
La démarche est en soi cruelle. Chaque année vous devez prouver que vous êtes toujours en vie pour toucher ce qui est vous est dû. Une manière de vous rappeler régulièrement qu’on n’attend qu’une chose : que vous mouriez enfin pour économiser ces sous-là.
J’imagine toutes les pensées qui doivent vous passer par la tête quand vous envoyez le document à l’organisme concerné. Les plus revanchards doivent se dire « Tenez, salauds, eh oui, je suis encore là. Vous attendez que je crève mais vous ne m’aurez pas tout de suite ! » tandis que les plus dépressifs pensent « Je devrais certainement mourir. La société n’attend plus que cela. Je ne suis qu’un poids. » Les uns deviennent plus teigneux tandis que les autres s’isolent davantage. En soi, il y a une immense indignité à demander aux vieilles gens de prouver qu’elles sont encore en vie.
Et prouver que vous êtes en vie vous coûte du temps, de l’énergie, parfois de l’argent. Pour les retraités qui habitent à l’étranger, les démarches peuvent être particulièrement kafkaïennes.
Le cas de ma mère de 82 ans
Ma mère a 82 ans. Elle touche environ 800 euros par mois. Après plus de 30 ans en France où elle a cotisé et a été mariée à un Français (qui cotisait), elle est retournée en Allemagne il y a 15 ans. Après la mort de mon père, en 2021, elle a entrepris toutes les démarches pour toucher en plus une pension de réversion mais elle ne l'a toujours pas obtenue à ce jour.
En attendant, pour lui verser ses 700 euros mensuels, qu’elle reçoit chaque mois depuis des années, la Caisse nationale d’assurance vieillesse exige d’elle un Certificat de vie qu’elle doit se procurer auprès d’une liste d’administrations allemandes. Hélas, les administrations en question refusent désormais de le lui délivrer sous la forme requise. Elle décide alors de se payer les services d’un notaire. Mais le document en question n’est pas accepté non plus ! Sa petite retraite est suspendue « en attendant ». Je vous épargne les détails mais à 82 ans, ma mère vit dans l’angoisse de ne plus toucher sa retraite, sans laquelle elle ne peut pas continuer à vivre.
La caractère absurde de la démarche ne manque pas d’ironie : à prouver qu’elle est en vie, elle risque d’y passer.
Le certificat de vie pour éviter la fraude ? Mais quelle fraude ?
Le certificat de vie est en soi un document absurde. Quand quelqu’un meurt, les caisses de retraite sont notifiées pour l’arrêt immédiat du paiement des pensions. Quand vous allez aux pompes funèbres, les démarches administratives ne manquent pas et celles-ci arrivent en tête. On arrête de payer les pensions de retraite au moment du décès.
Mais alors pourquoi prouver qu’on est en vie pour recevoir sa pension ? Il y a deux cas. Le premier, c’est que vous mourrez seul·e chez vous et il se passe des mois avant que l’on retrouve votre corps. Mais alors l’argent est sur votre compte en banque et la caisse pourra le récupérer. N’est-ce pas bien plus grave que vous mouriez seul·e chez vous plutôt que cet argent soit payé à un·e mort·e ? Le deuxième cas, c’est que vos enfants cachent le décès de leur parent pour toucher sa retraite. Combien de cas de ce type ? Cela n’a rien d’évident de cacher un cadavre. Il suffit de regarder quelques films policiers pour se rendre compte que c’est un travail difficile. Les cas de ce genre ne peuvent pas représenter plus de quelques dizaines chaque année. Trois fois rien donc, surtout s’il s’agit de pensions de … 700 euros !
La Welfare queen et les patrons véreux
Cela fait des années que les personnalités politiques martèlent leur « détermination » pour lutter contre les fraudes aux prestations sociales. Ce n’est pas neuf. Déjà quand j’étais enfant, il y avait des discours sur les gens qui se la coulaient douce avec plein d’enfants grâce aux allocs. Cela fait écho à Ronald Reagan qui avait gagné la présidentielle américaine en 1980 en partie en tapant sur la figure de la Welfare Queen, une femme (fictive) accusée de percevoir d’innombrables prestations sociales par la fraude et la manipulation, tout cela pour se payer de belles voitures. L’emploi de ce terme stigmatise particulièrement les mères pauvres ne vivant que de l’aide sociale. (Comme si leur vie n’était pas assez dure comme ça !)
En réalité, la fraude sociale représente deux fois moins d’argent que la fraude fiscale. Mais surtout, elle n’est pas le fait de vieilles personnes vulnérables qui toucheraient des pensions indues, elle concerne principalement le travail dissimulé, c’est-à-dire le fait pour un travailleur et son employeur de ne rien déclarer pour ne pas payer de cotisations sociales. Cela concerne donc essentiellement des employeurs (notamment dans le bâtiment) et des personnes actives.
Dans les organismes, le coût de l’arsenal bureaucratique dédié uniquement à la surveillance est bien supérieur à l’économie faite sur les éventuelles fraudes. Mais en plus il cible principalement des personnes vulnérables chez qui la fraude est extraordinairement marginale. Je soupçonne les personnes qui conçoivent les discours sur la fraude sociale et les arsenals de surveillance d’un grand cynisme : elles savent bien que cela ne se justifie pas mais cela « rapporte » autrement. Vous avez l’air « ferme ». Vous faites en sorte que des millions de gens soient découragés par les démarches et ne demandent pas les prestations sociales auxquelles ils ont droit. Et en prime, en tapant sur les personnes les plus vulnérables (celles qui peuvent le moins se défendre), aucun lobby ne va vous retomber dessus.
Mais ce cynisme est un poison contagieux qui coûte cher à plus long terme. Il sape les fondements de nos institutions de protection sociale. Il détruit le consentement à l’impôt. Il abîme notre Sécurité sociale. Vous pouvez imaginer la confiance que j’ai aujourd’hui dans la caisse nationale d’assurance vieillesse ! Je sais qu’ayant vécu à l’étranger, la paperasse sera pour moi un enfer. Je sais que tout sera fait pour ne même pas me verser le peu qui me sera dû. Résultat ? Je ferai partie de ceux qui ne vont miser que sur la retraite par capitalisation et tout faire pour payer le moins de cotisations sociales (légalement) possible.
Alors, ceci est un message aux organismes de protection sociale : mettez fin à l’absurdité de cette soit-disant « lutte contre la fraude » qui abîme notre contrat social. Et à la CNAV, tout particulièrement : arrêtez avec l’indignité des Certificats de vie !
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Qui nous sommes
Laetitia | Fondatrice de CNVC Research, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité : critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 16 ans et vivons à Munich, en Allemagne, avec nos deux enfants. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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Je suis très touchée par cette tribune. J'ignorais l'existence de ce certificat de vie qui est d'une absurdité totale. Tout mon soutien à vous et votre mère.