✍️ Nouveau Départ, Nouveau Travail. Voici un nouvel article de ma série “Nouveau Départ, Nouveau Travail” où je partage, par écrit, des réflexions sur les mutations du travail, inspirées par l’actualité, des expériences vécues ou mes lectures du moment. Je me suis fixé le défi de vous proposer des articles courts et percutants 💡
Rappelez-vous la promesse révolutionnaire d’Amazon : des magasins sans caisse où l’on fait ses courses, sort sans payer à une caisse traditionnelle, et se voit débité automatiquement du montant exact de ses achats (“Just walk Out”). Plus besoin de caissiers, ni même de caisses automatiques, ni de vigiles. Une solution censée optimiser les coûts et la productivité grâce à l’IA. Mais dans la réalité, ce modèle n’a jamais vraiment fonctionné…
Derrière l’illusion de la technologie parfaite se cachait une réalité bien plus intensive en travail humain : un millier d’humains payés pour visionner les vidéos de surveillance et corriger les erreurs de l’IA. Le système, loin de réduire les coûts, s’est révélé plus onéreux que le recours à des caissiers humains ou à de simples caisses automatiques. Finalement, Amazon a fait marche arrière et abandonné ce modèle au profit de technologies moins ambitieuses mais plus fiables. L’histoire est comme un remake du Turc mécanique, cet « automate » champion d’échecs du XVIIIe siècle qui cachait en fait un maître humain contorsionniste.
Le raté d’Amazon Go est emblématique de la bulle IA d’aujourd’hui. Partout, on nous promet des gains de productivité spectaculaires. Les attentes sont immenses et les employeurs pressent leurs salariés d’adopter tous les outils possibles et imaginables, espérant des résultats rapides. Pourtant, sur le terrain, la réalité est beaucoup plus nuancée et souvent décevante. Pire, il y a souvent une BAISSE de la productivité !
Une promesse qui épuise les salariés
Les emplois créatifs et intellectuels peuvent souvent être augmentés par l’IA. Il y a quantité d’usages convaincants : les outils d’écriture, de design ou encore d’analyse permettent effectivement d’accélérer et d’automatiser quantité de tâches. Mais dans de nombreux autres cas, les attentes autour de l’IA ajoutent une charge supplémentaire sur les épaules des travailleurs.
77 % des employés utilisant l’IA affirment que cela aurait augmenté leur charge de travail (d’après cette étude relayée dans Forbes).
47 % disent ne pas savoir comment atteindre les gains de productivité attendus par leur entreprise.
40 % trouvent que leur employeur en demande trop en matière d’adoption de l’IA.
Ces chiffres illustrent un phénomène que beaucoup ressentent intuitivement : les outils d’IA, loin de simplifier le travail, introduisent parfois une complexité supplémentaire et du travail en plus. Entre la formation, les ajustements nécessaires pour pallier les erreurs, et les attentes parfois démesurées des employeurs, l’IA ajoute une friction qui peut freiner la productivité.
Attention à l’illusion de productivité
L’histoire économique a souvent été marquée par des bulles technologiques. Aujourd’hui, l’IA connaît un emballement : il suffit d’ajouter les lettres “IA” à votre pitch et votre projet gagne en valorisation, même quand il y a surtout du bullshit derrière.
Mais la réalité vécue par les travailleurs sur le terrain nous rappelle que toutes les promesses ne sont pas réalisables. Les employeurs et les travailleurs devraient donc garder une approche pragmatique. L’IA peut être une formidable opportunité d’amélioration, mais il faudrait modérer nos attentes. On ne devrait peut-être pas tous perdre du temps de travail à tester sans cesse de nouveaux outils. Souvent, les gains promis se transforment alors en perte de productivité.
Passer beaucoup de temps à tester et adopter de nouveaux outils dans l'espoir d'améliorer sans cesse sa productivité, mais finir par perdre du temps et de l'efficacité, ça vous parle ? Cela peut être assimilé à deux choses : l'illusion de productivité et l'over-engineering organisationnel. On s’agite constamment pour « optimiser » son travail mais on finit par ne plus faire le vrai travail qu’on est censé optimiser.
Quand on vous enjoint à vous précipiter et à aller plus vite que vos concurrents dans l’adoption de nouveaux outils, c’est qu’on a quelque chose à vous vendre (un outil, une formation, une prestation de conseil), dans une période de bulle où il y a beaucoup d’argent à se faire. Et si vous preniez plutôt le contrepied ? Laissez les autres perdre en productivité, laissez les autres payer les pots cassés… et adoptez après eux les seuls outils qui auront fait leurs preuves. Gardez la tête froide quand les autres foncent tête baissée dans une bulle épuisante.
Ne tombons pas dans le piège de la « technologie au service de la technologie », cette tendance à vouloir adopter des solutions avancées simplement parce qu'elles existent, sans analyse de leur pertinence et de leur impact global sur le travail. Ce piège se traduit toujours par un renversement téléologique des finalités : la technologie, qui devrait être au service de nos besoins et aspirations, devient une finalité en soi. Or cette inversion nous dépossède de notre capacité à définir nos priorités. L’IA devrait ne rester qu’un outil au service d’une vision réfléchie du progrès collectif.
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Qui nous sommes
Laetitia | Cofondatrice de la société Cadre Noir, collabore avec Welcome to the Jungle, autrice de Du Labeur à l’ouvrage (Calmann-Lévy, 2019) et En finir avec la productivité. Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail (Payot, 2022).
Nicolas | Cofondateur de la société The Family, ancien chroniqueur à L’Obs, auteur de L’Âge de la multitude (avec Henri Verdier, Armand Colin, 2015) et Un contrat social pour l’âge entrepreneurial (Odile Jacob, 2020).
Nous sommes mariés depuis 17 ans. Après avoir vécu près de 10 ans à Londres puis à Munich, nous sommes revenus en France en août 2024. Nouveau Départ est le média que nous avons conçu ensemble au printemps 2020 pour mieux nous orienter dans l’incertitude.
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Ça me rappelle une époque où il fallait donner un iPad aux enfants pour qu'ils ne soient pas en retard dans leur adaptation au digital.
Ca revient un peu à la notion d'attendre que ça devienne efficace, mais est-ce que le pari de productivité ne se situerait pas plutôt dans le renouvellement générationnel avec des jeunes formés pour piloter une IA, et surtout formés pour rien d'autre?