Bonjour à tous ! Cette semaine, Nicolas et moi vous proposons un nouveau type de contenus : des “Notes de lecture”, sous la forme d’articles courts sur des ouvrages qui éclairent un aspect de la crise et la transition. Ce premier épisode est consacré à La Fabrique de la ménopause de Cécile Charlap (CNRS Éditions, 2019), à l’occasion de la parution de notre conversation avec Sophie Dancourt.
La ménopause reste un sujet tabou. On pourrait penser que cette étape du vieillissement des femmes est un événement universel dont la prise en charge par la médecine va de soi. Mais il n’en est rien, comme l’explique Cécile Charlap, docteure en sociologie qui a fait sa thèse sur ce sujet.
Dans son livre La fabrique de la ménopause, paru en 2019, elle montre que nos représentations, expériences et interprétations dépendent largement de la culture. Elle offre une double lecture du concept de ménopause : historique (l’apparition du concept est récente dans l’histoire) et anthropologique (ce concept ne fait pas l’objet des mêmes représentations dans toutes les sociétés).
Selon les sociétés, la cessation des menstruations peut être un accroissement des possibles et des pouvoirs, l’avènement d’une sexualité enfin libérée de la fertilité, ou même un non-événement, ne faisant pas l’objet d’une attention particulière, au point qu’il n’existe pas de mot pour le désigner.
La ménopause est un concept récent
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la “cessation des menstrues” ne constituait pas un objet d’étude. Il faut dire que jusqu’aux années 1830, l’espérance de vie est restée inférieure à 40 ans. Le siècle des Lumières voit émerger un intérêt nouveau pour l’étude de la “nature” féminine. Ramenée uniquement à sa “nature” de reproductrice, la femme n’est plus grand-chose si elle ne peut plus enfanter.
En 1816, dans un ouvrage intitulé Avis aux femmes qui entrent dans l’âge critique, le médecin française Charles de Gardanne invente le terme menespausis pour évoquer la cessation des menstruations. Ce terme est formé sur le grec mêniaia (“menstrues”), mêne (“mois”), et pausis (“cessation”). A partir de là, dans tous les ouvrages médicaux, on parle de “pathologies”, et un discours moral accompagne le discours médical pour charger de sens les “désordres” physiques.
Le contexte culturel et social est essentiel
“La physiologie est investie d’un sens qui renvoie aux catégories de pensée du monde et, en retour, façonne des pratiques sociales”. Le contexte culturel détermine largement la manière dont l’étape de la ménopause sera vécue. Par exemple, dans les sociétés où les règles sont particulièrement taboues et les femmes fertiles considérées comme “impures” (ou particulièrement enfermées dans leur rôle reproductif), la fin des règles peut s’accompagner d’un changement positif de statut social.
Chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, “l’autorité des femmes grandit quand elles n’ont plus ces écoulements menstruels qui constituent une menace pour les hommes.” Chez les Indiens Piegan au Canada, les femmes mariées ménopausées peuvent s’affranchir des contraintes qui pèsent sur les femmes fertiles : plus besoin d’être dociles, humbles et soumises ! Dans les tribus africaines où le statut social des personnes âgées est envié (elles détiennent les secrets de la tradition), les femmes ménopausées accèdent à de nouveaux pouvoirs.
En résumé, “loin d’être vécue comme un transformation individuelle, la cessation des menstruations et de la fertilité concerne l’espace social dans son ensemble et touche, plus précisément à la question du pouvoir”.
Une “maladie” qu’il faut “traiter” ?
Quand la “norme” est celle d’un corps fertile, alors le corps infertile est défini comme “hors norme” (cela changera-t-il quand l’âge médian de la population sera supérieur à l’âge moyen de la ménopause ?) Au début du XXe siècle, on découvre les hormones. Celles-ci remplacent alors les humeurs dans la pensée du corps. À bien des égards, le développement de l’endocrinologie (la discipline de la médecine qui étudie les hormones) constitue un changement radical de paradigme.
La ménopause devient alors non plus la cause des maladies, mais une “maladie carentielle” qu’il faut traiter. Pour Charlap, cette définition “sert les intérêts de l’industrie pharmaceutique et de ses tenants” car à partir des années 1960, l’industrie pharmaceutique développe des traitements hormonaux de substitution (THS). Le gynécologue américain Robert Wilson, promoteur des THS, “soutient que la ménopause est une pathologie due à une carence en hormones au même titre que le diabète et le dysfonctionnement de la thyroïde (...), un dysfonctionnement menaçant l’essence féminine”.
Ce “double standard” dont les femmes sont les victimes
Les hommes “mûrissent” tandis que les femmes “déclinent”. Nous n’appréhendons pas le vieillissement masculin et féminin de la même manière. Bien que les femmes aient une espérance de vie plus longue que leurs homologues masculins, leur vieillissement leur vaut une dévalorisation sociale plus rapide. Un homme mûr est souvent perçu comme “séduisant” plus longtemps qu’une femme.
“La ménopause apparaît comme une déqualification sociale propre aux femmes, la femme ménopausée n’ayant pas d’équivalent du côté masculin.” Même quand elles ne sont plus fécondes, les femmes sont ramenées à leur appareil reproductif. Le discours médical continue de définir la féminité à l’aune de la fécondité et de disqualifier davantage le vieillissement féminin.